Winamax

La solitude du joueur de poker

Par dans

Le joueur de poker est un homme seul, isolé. Un solitaire. Une sorte de Clint Eastwood des temps modernes. En voyage, devant son ordinateur ou assis à une table, avec ses lunettes de soleil, son iPhone et son casque, il reste seul, dans la victoire comme dans la défaite. Peut-être encore plus dans la victoire.

Bien sur, je fais partie d'une belle équipe. Une équipe de joueurs de poker, le Team Winamax. Mais c'est étrange d'être membre de ce collectif où, finalement, le seul sentiment d'émulation que je peux ressentir - qui pour le coup est un mauvais sentiment - serait la jalousie. Nous ne sommes pas en concurrence, mais nous ne sommes pas des partenaires. Nous portons les mêmes couleurs, et pourtant nous sommes adversaires.

Justement, récemment, j'ai gagné un tournoi de poker. Mon premier en live. Et plutôt un gros, en plus : la finale du Barrière Poker Tour à Enghien. Marc Inizan, alias « LocSta », mon coéquipier au sein du Team, est resté à mes côtés jusqu'au bout. A trois heures du matin, quand j'ai éliminé mon dernier adversaire, il m'a félicité. Michel « MIK.22 » a suivi la partie sur Internet et m'a soutenu par SMS jusqu'à ce fantastique tête à tête qui a duré... hmm, à peu près un quart d'heure. Winamax représente ! La puissance de Winamax !

Mais quand bien même, je me suis senti très seul. Impossible de sauter au plafond, c'est pas mon style. Impossible de faire la pagaye, ou l'avion, ni d'appeler ma mère, il était beaucoup trop tard. Et impossible de le dire à un de mes bons potes, ils s'en foutent du poker.

Le maigre public encore présent au milieu de la nuit a applaudi, merci à lui ! On m'a filé une coupe... de champagne ; un chèque géant... en carton. J'ai fait quelques photos stupides avec en main mes deux cartes de la victoire. J'avais vraiment l'air con, mais heureux ! Et je me suis senti tout bizarre.

Je venais de gagner un beau tournoi de poker. J'étais le dernier, the last one, mais pas the special one. La pression venait de retomber, la joie m'envahissait, mais... J'étais seul avec cette victoire. J'ai gagné : OK, bon, et je fais quoi, maintenant ?

Pas de journalistes. Pas de partage du triomphe avec mes coéquipiers. Pas de tour d'honneur, ni de communion avec le public, mon public. Pas de retour au vestiaire pour demander une double prime à mon président. J'étais SEUL avec ma victoire. Alors j'ai bu pour fêter ça- bon, d'accord, en général je n'ai pas besoin d'une raison pour boire un coup. Je suis rentré chez moi, j'ai traîné, et je me suis couché...

Je me suis réveillé assez tôt. Je me suis promené. Ben oui, un lendemain de victoire, il faut kiffer un peu, serrer des paluches, lire l'Equipe pour découvrir sa note... Comme d'habitude, j'ai croisé des fans de foot.

« Merci Vikash pour le but en finale »

« Je t'adorais quand tu étais à Lyon »

« Tu es encore jeune, pourquoi tu as arrêté... »

Mais attendez, le foot, c'est fini pour moi, maintenant c'est le poker !

« Hé, mec, je viens de gagner un super tournoi de poker ! »

« Hé, mec, on était 320 joueurs. Oui oui, c'est vrai, j'étais le dernier, le seul ! »

« Hé, mec, y'avait même un gars qui s'appelle... paraît que c'est un cador ! »

« Hé, mec, y'avait aussi un autre gars... paraît que lui, c'est un génie sur Internet ! »

Voilà le truc : j'ai gagné au poker, mais personne ne le sait, ou presque. J'ai cru une seconde qu'on allait m'arrêter dans la rue pour me féliciter, ou me faire signer des autographes. J'ai du rêver. RIEN ! Alors j'ai eu envie de le crier, de rentrer dans une boulangerie, de le dire au chauffeur de bus ou à la mère de famille. J'ai préféré rentrer chez moi.

Depuis, le foot me manque un peu plus, ce que représente le foot, les émotions que tu ressens quand tu joues et après le match. Au foot, quand tu gagnes ou quand tu perds, c'est avec les autres, pour les autres. Pour ceux qui t'aiment, et ceux qui te détestent. Ce rapport social, il était absent quand j'ai remporté ce tournoi de poker l'autre soir. Au foot, j'ai perdu et j'ai gagné. C'était mon métier. Triste ou heureux, je passais toujours au match suivant.

Mais j'ai toujours su que des gamins, des pères, des femmes, des fans, parfois une ville ou un pays entier - lorsque je jouais pour la France - allaient un peu ou beaucoup, vivre au rythme du résultat du match, et des suivants. Le foot, le sport a un impact sur la vie, sur la semaine des gens qui viennent au stade ou regardent la télé. Socialement, c'était important.

J'étais jugé publiquement, aimé, adulé, ou détesté. Jouer au foot c'était finalement jouer pour les autres, avec les autres, et contre les autres.

Voilà ce que j'ai ressenti l'autre soir. Assis à ma table de poker, j'ai encaissé les bons et les mauvais coups sans jamais broncher, seul. J'ai gagné et finalement ce n'était que pour moi. Cela n'avait pas de sens, sauf pour le compétiteur que je suis... et pour mon compte en banque. Finalement, c'est déjà pas mal.