Winamax

Hold-up à Evian

Par dans

La victoire en tournoi est l’accomplissement suprême de tout joueur de poker. C’est le seul résultat qui ne laisse place à aucune frustration et qui procure cet état euphorisant du devoir accompli. Ce sentiment est cependant beaucoup trop rare, c’est presque toujours la frustration qui prédomine dans la vie du joueur de poker pro. Une raison de plus pour pleinement profiter quand la réussite vient vous sourire… jusqu’au bout ! C’est justement ce que j’ai pu connaitre au bord du lac d’Evian, pour ce qui était mon deuxième tournoi en tant que membre du Team Winamax. Un souvenir inoubliable : ma première victoire sur un tournoi majeur ! Très longue à se dessiner, elle s'est obtenue dans la douleur après une deuxième journée marathon de plus de 18 heures...

Tout n'a pas si bien débuté : je me retrouve d'emblée à ce qu'on peut considérer à ce type de buy-in (2,000€) à la table de la mort. On y retrouve deux joueurs du team Winamax : Antony Roux et Davidi Kitai ainsi que le futur dauphin de l’épreuve, l’italien Sergio Castelluccio et Isabelle Mercier qui termina septième. Nous sommes donc trois joueurs issus de cette table à atteindre la finale ! Dans la lignée du WPT Marrakech, je suis incapable de remporter le moindre showdown. Je commence à douter et me demande si mon entrée dans le Team Winamax ne m’a pas apporté le mauvais sort... Mon tapis initial passe de 20k à 9k quand arrive le coup suivant : je paie une relance à 600 avec [8c][9c]. Nous sommes quatre joueurs à voir le flop [9h][3c][3s] et le relanceur initial mise 2k. Je décide de payer même si je dois engager une partie substantielle de mon tapis. Le turn est un [5c] et le relanceur initial me demande mon tapis. Ce trèfle au turn me rajoute des outs et rend ma décision plus facile. Je paie et je suis confronté à As-Dix en carnaval. Un bonne doublette qui me fait passer à 20k.

Par chance, cette table que je n’apprécie guère va finir par casser. J’arrive avec 26k sur une table qui m’a l’air plus facile. Je suis mis tout de suite dans le vif du sujet sur ma toute première main : une défense de blindes avec Q9s sur une relance à 800 (blindes 150/300). Le flop vient QTx et je check-call une mise de 1500. Le turn est une Q et, à nouveau, je check-call une mise de 4k. La river ne change rien et mon adversaire mise à nouveau : 10k cette fois. Je regrette alors de mettre engagé dans ce coup contre un joueur qui m’est totalement inconnu. Finalement, ma main ne bat qu’un bluff puisque je vois mal mon adversaire jouer une overpaire ou un dix de cette façon. Je décide de me coucher et de garder 20k. Mon adversaire me montre Roi-Valet pour un bluff que je mettrai du temps à digérer... Peu de temps après, je me retrouve à tapis avant le flop avec AK contre le KK de mon adversaire. Le flop ne m’apporte aucune aide et je suis « crippled » à 2700 au niveau 150/300 soit neuf blindes… J’engage tout de suite ce micro tapis avec T7 vs AT pour voir tomber un sept sur la rivière ! Je commente avec sourire que c’est « le début d’une belle histoire ». Et quelle histoire ! Juste après, je me fais payer tout mon tapis avec AT sur AAxxx puis je slowplay une paire d'as dans un pot multiway. Le flop vient 876 et je prend un très gros pot face au As-Huit de Joel Benzinou. En quelques minutes, je suis revenu à mon tapis initial de 20k ! C’est alors que je me retrouve une nouvelle fois à tapis avant le flop avec encore AK vs KK de Charlie Perrault. Mais cette fois, un as sur le tournant viendra me sauver. Je termine la journée à 41k pour une moyenne de 70k. Tout reste à faire…

Le Day 2 commence sur les chapeaux de roues. Sur l'une des toutes premières mains de la journée, je relance à 4k sur les blindes 800/1600 avec AJ en fin de parole. L’hyper-agressif Kers Pontus me fait tapis pour 34k de plus. Cela ressemble à s’y méprendre à une petite paire qui veut gagner le coup maintenant. Comme souvent quand je possède la moitié de la moyenne, j’accepte le « gamble » pour revenir dans la course et Kers retourne 77. Un tableau KTxJx plus tard, je me trouve avec le tapis moyen, 76k, et mon principal adversaire sur la table assez affaibli. Voilà qui commence bien !

Tombés à 36 joueurs, j’hérite à nouveau de la table la plus difficile du tournoi. On y retrouve Youcef Benzerfa, le tenant du titre de cet Evian Poker Tour, Adrien Allain, récent vainqueur de l’APT Macao, ou encore Isabelle Mercier qu’on ne présente plus ainsi que Joel benzinou l’espoir belge et Simon Cuq, un excellent joueur de Grenoble Poker. Une table où il n’ y a pas grand-chose à gagner : les joueurs font peu d’erreurs et seul un setup favorable peut réellement vous faire avancer. Je fais alors preuve d’une extrême patience. Je choisis méticuleusement mes « spots ». Mon image est bonne et je suis très respecté.

La pause repas arrive enfin. Il reste 21 joueurs pour 18 payés. J’ai 110k pour une moyenne de 150k. Je n’ai à ce moment aucune certitude de rentrer dans l’argent : je me trouve parmi les cinq plus petits tapis. A vrai dire, j’aurai trouvé cela un peu rude de rentrer bredouille après avoir déjà passé environ 17h autour des tapis verts.

Je reviens donc de la pause le couteau entre les dents, bien décidé à rajouter une ligne à mon Hendonmob. Je m’attendais à une bulle assez longue mais après quelques minutes, on applaudit Pascal Perrault, dix-neuvième et malheureux « bubble boy ».

Nous ne sommes plus que dix-huit et c’est le moment de changer de vitesse. J’ai déjà joué avec une bonne partie des joueurs à ma table et j’ai une image assez tight. Je peux donc me permettre de pousser mes dix blindes sans être payé par les deux premières cartes venues. Je retourne deux as juste après avoir poussé le coup précédent. Je refais la même chose, tout le monde passe jusqu’à Robert Giordano en grosse blinde qui réfléchit une minute avant de passer... paire de dix face-up ! Étonnement général à la table ! A ce moment, les joueurs pensent que le fold est mauvais et vont même jusqu’à en rigoler… Moi j’essaye de sauver la face, je muck piteusement mes cartes… Sick read ! Je prends un petit coup au moral, me voyant bien doubler là dessus.

On se retrouve peu après en shorthanded et cela n’est pas pour me déplaire. Je bénéficie toujours d’une image solide et personne ne vient tenter de me contrer. Je suis particulièrement bien placé sur cette table puisque je me retrouve au bouton quand les 2deux joueurs les plus frileux du tournoi sont en blindes. Je commence donc à « boiter any two » dans cette position quand personne n’a relancé avant moi. Mes adversaires passent et montrent successivement AT, 66, etc… Sur un énième vol, je suis pas payé par AJ alors que je possède Q6. Un six au flop plus tard, je frise à nouveau avec la moyenne de 250k.

J’ai alors un peu plus de vingt blindes et vais pouvoir commencer à faire autre chose que tapis avant le flop. Tout le monde passe, je trouve AK au bouton et je fais 28k sur 6k/12k. La grosse blinde paie et le flop m’est très favorable : [Kh][7s][3h]. A ma grande surprise, mon adversaire donk-bet à 60k. Je le mets à tapis pour 146k, ce dernier réfléchit et paie avec [Kd][Ts] ! « FEDEX bonsoir, nous avons un colis pour vous : un tapis de 400k ! » Miam, je prends. Je profite enfin d’un bon tapis pour mettre mes adversaires sous pression. Sur les blindes 8k/16k, Gérard Zeitoun relance à 40k au bouton. Je décide de le 3-bet à 115k avec 33, me laissant 350k derrière soit un peu plus de 20 blindes. Il passe après plusieurs minutes de délibération en montre 99. Ouf ! Quel soulagement. Je ne montre évidemment pas et je continue mon agression tandis qu’il ne reste qu’un seul joueur à sauter avant la finale.

Quatre heures du matin : ON Y EST ! Première table finale sous les couleurs du Team Winamax ! Je possède le troisième tapis mais avec neuf joueurs à table et quelques shortstacks, ma stratégie sera d’attendre et de jouer le plus solide possible. Pendant la première heure, je ne joue absolument aucune main... J'en remporterais pourtant deux, « à l’insu de mon plein gré » : deux walks ! « Bravo champion », commentera Harper ! On perd alors Isabelle Mercier en septième position et nous sommes désormais en shorthanded.

Six heures du mat'. Gerard Zeitoun ouvre pour 60k au bouton sur des blindes 12k/24k. Je pousse son tapis de 360k avec 33, une très bonne main pour resteal vu la profondeur de nos tapis respectifs. De plus, il a déjà montré qu’il pouvait faire de gros fold. Il paie cependant assez vite et retourne AT. Je remporte ce coin flip crucial et me retrouve à 700k !

Comme souvent dans ce genre de tournoi, les protagonistes restants vont s’entendre sur un deal. Les prix officiels sont les suivants :



  1. 87,000€



  2. 51,000€



  3. 31,000€



  4. 27,000€



Mes adversaires possèdent tous des tapis compris entre 700k et 1.1M. On décide de repartir les prix de la manière suivante : tous les joueurs repartiront avec un minimum de 40,000€, une prime de 10,000€ sera attribuée au runner-up et 20,000€ de plus seront reversés au vainqueur.

J’accepte le deal pour plusieurs raisons :

- Je suis le plus petit tapis au moment du deal ;

- Mes adversaires se réjouissent du deal et vont probablement se contenter inconsciemment de ce qu’ils ont déjà gagné ;

- Une victoire serait bienvenue pour mon petit palmarès et donnerait une exposition maximale à mon sponsor : Winamax ;

Une chose est sûre, le troisième et le quatrième remportent le même prix : il faut donc attaquer !

Quand Robert Giordano envoie son tapis un peu diminué de 384k, je décide de tenter de l’éliminer et je paie avec 44, me laissant un peu plus de 300k en cas de défaite. Si je remporte le coup, je passe à plus d’un million et mets toutes les chances de mon coté pour l’acquisition du titre.

Robert retourne AQ et je remporte un énième coin flip. Running gooood !

Sept heures du mat'. Mes adversaires semblent beaucoup plus fatigués que moi. Je sais que le temps joue pour moi. Comme dans toutes les situations de fin de tournoi en 3-handed, il est très important de ne PAS être un des 2 joueurs qui va aller à tapis. Les paliers sont importants (dans cette situation un peu moins puisque qu’il y a eu deal) et on gagne mathématiquement beaucoup d’argent à voir un des deux joueurs éliminés sans risquer quoi que ce soit. J’évite donc de 3-bet light puisque mes adversaires souhaitent en finir le plus vite possible. Faire grossir le pot hors de position avec une main marginale est vraiment quelque chose que je souhaite éviter à ce moment du tournoi.

C’est ce que Mickael Sebban va pourtant faire. Sur une relance de l’italien, il décide de 3-bet A8o. L’italien qui souhaite accélérer le mouvement paie avec une main plutôt faible et souvent dominée : QJo. Le flop vient Q8x, Sebban effectue un continuation-bet à 300k et se voit demander son tapis. Il paie assez frustré et se voit éliminer.

Heads-up time !

Je connais bien mon adversaire puisqu’il était déjà présent sur ma table de départ et j’ai pu l’observer à plusieurs repris au cours du tournoi. C’est un joueur expérimenté, habitué du circuit EPT. Il aime beaucoup bluffer les pots et la patience n’a pas l’air d’être son point fort. Il a répété à plusieurs reprises qu’il voulait partir pendant la finale, qu’il avait un train… Dans la tribune, on voit aussi sa copine qui s’impatiente. Je démarre le Heads-Up avec un déficit en jetons (1,3M vs 1,9M). Mais avec plus de quarante blindes, il y a de quoi voir venir. Ma stratégie est simple : jouer un poker un peu « weak » en contrôlant au maximum la taille des pots. Je veux absolument éviter de « gamble » : faire grossir les pots ne ferait qu’augmenter la variance.

Sur une des toutes premières mains du match, je prends un joli pot mais je rate un très grosse occasion de doubler mon tapis. J’ouvre à 70k sur 15k/30k avec une paire d'as et Sergio 3-bet à 225k. Je prends son 3-bet comme une certaine impatience et je pense qu’il n'a finalement pas vraiment de mains légitimes dans sa range de 3-bet. Je risque de le perdre si je le 4-bet et j’ai la position, ce qui devrait me permettre de lui extraire un maximum après le flop. Je décide donc de payer. Le flop vient [Kh][8c][4d] et à ma grande surprise, Sergio checke. Je suis presque convaincu qu’il aurait misé toutes les mains qui ont touché le flop en plein ainsi que celles qui ont raté. Je le mets donc sur une paire intermédiaire et ne pense pouvoir extraire que deux streets de value. Je décide donc de checker pour voir le turn. Celui-ci amène un huit et mon adversaire checke à nouveau. Il est temps de se faire payer et je mise 280k : il paie rapidement. La river est un 9 qui n’aide réellement que 99. Il checke à nouveau puis paie ma mise de 485k sur la river. Il dévoile alors deux dames et précise que si j’avais 4-bet, j’aurai doublé mon tapis... Je suis un peu déçu mais me reconcentre rapidement. Je viens de remporter un joli pot qui me fait prendre le chiplead et le Heads-Up est plutôt bien embarqué.

S’en suit une série de petits coups parmi lesquels j’opte souvent pour la solution du « lâche ». Je refuse de faire grossir les pots et me fait donc bluffer plusieurs fois. Nicolas Levi dans le public m’encourage et m’exhorte à rester patient. Cependant, malgré mon image assez solide, mes value bet sont très souvent payés par l’italien. Je défends ensuite [Jd][8d] et nous checkons tous les deux sur un flop [Jh][8c][7h]. La turn est une [Qh], une bonne bluffing card ainsi qu’une carte qui touche sa range. Je décide donc de checker à nouveau. Il mise comme espéré et je peux alors le check raiser. Je n’ai aucune peur de la couleur puisque mon adversaire n’est pas du genre à checker un tirage couleur au flop. Il me paie et je prie alors pour une brique river. « Damechatte » m’a probablement entendu puisque la river est un [4c] et Sergio paie un gros value bet de 550k avant de mucker.

J’ai alors plus de deux millions et j’attends la main pour l’achever. Sur un tableau [6d][Qc][Jh][7d][2c] avec environ 350k au milieu, je value bet à 270k mes 2 paires avec [6c][7c] en main. A ma surprise, Sergio envoie son tapis. {Q2;J2;22} sont les seules mains légitimes que mon adversaire peut posséder vu l’action tout au long du coup. Je paie assez rapidement et Sergio retourne piteusement AJ. Ça y est : j’ai gagné ! Mais, avec la fatigue, je ne suis pas certain de couvrir mon adversaire. Et comme je ne veux pas me réjouir à tord car il me serait difficile de me remettre dans le match ensuite, j’attends que le croupier annonce le chipcount officiel de mon adversaire. Il est presque huit heures du matin quand je suis officiellement déclaré vainqueur. Je peux enfin savourer ce qui vient de se passer. I dit it ! Quel soulagement…

Après coup, je n’ai pas l’impression d’avoir joué mon meilleur poker. Je n’ai pas pris la bonne décision à plusieurs reprises, je ne suis globalement pas très satisfait de mon jeu en Heads-Up alors que cela devait être mon point fort. J’ai eu par contre une bonne gestion de mon tapis, beaucoup de patience et de la réussite dans les coups à tapis. J’ai aussi terminé en meilleure forme physique que mes adversaires et j’ai fait preuve d’une grande détermination. Harper et Nicolas Levi m’ont été d’un grand soutien moral sur la fin du tournoi. Que c’est bon de faire partie de cette équipe… J’espère qu’il y en aura d’autres. C’est tellement euphorisant.