High Stakes Paname
Par Général
dansJ’avais pensé écrire un article détaillant la préparation physique et mentale qui précède les tournois et cash-games à enchères élevées… Mais le truc, c’est qu’à part m’abstenir de faire la fête la veille, et manger léger le Jour J, je n’observe aucun rituel ni règle particulière.
Le sport ? Mis à part quelques sets de tennis où je me fais laminer, aussi bien techniquement que financièrement (35,000 dollars rien que pour 2008), rien à signaler. J’ai ce petit problème de toujours tout repousser au lendemain…
Un seul truc me semble essentiel : prendre une douche glaciale avant chaque grosse partie de cash-game, pour être sûr d’être bien réveillé dès le début.Laissons donc tomber ce brouillon d’article technique, et plongeons nous plutôt dans le monde relativement inexploré du poker « high-stakes » à la sauce parisienne...
Je n’avais que rarement eu l’occasion de dévoiler en public le parcours qui m’a mené là où j’en suis aujourd’hui : voilà qui sera désormais chose faite. Cependant, pour respecter la vie privée de certaines personnes que j’ai croisées et croise encore autour des tables aujourd’hui, vous comprendrez bien que je resterai discret sur certains chiffres et détails.24 février 1999. Ca y est, j’ai dix-huit ans !
Arrivés à la majorité, beaucoup de jeunes gens vont prendre une cuite, ou faire la fête en famille. Pas moi. J’ai foncé directement au cercle, où l’on allait enfin me laisser rentrer. J’étais surexcité. J’ai commencé par jouer aux plus petites tables du CIC (désormais fermé, snif) et de l’Aviation Club de France. Cave : 200 francs de l’époque. J’y allais tous les jours. Enfin, quand j’avais assez d’argent à perdre. Ma bankroll de jadis suivait un trajet bien délimité : je gagnais à toute vitesse en partie privée, puis perdais très doucement en cercle.
Mais tout ça, ce n’est pas du high stakes, alors, appuyons sur «avance rapide».
2001. Je suis fasciné par cette table au fond de l’Aviation, placée à l’écart du regard de la foule. La cave minimale est de 10,000 francs. Une montagne ! Je reconnais tous les protagonistes : Elie Marciano, Jan Boubli, Thomas O. (le fameux espagnol), Bruno Fitoussi, et David Benyamine. D’autres noms sont passés par cette table mais la plupart n’y sont guère restés longtemps. Ne nous leurrons pas : le cash-game à Paris est une guerre, et peu de joueurs arrivent à s’y installer dans la durée.
2003. Je suis joueur professionnel. Ca fait tout drôle de l’écrire. De le dire. De l'imaginer. Je n’arrive pas encore à concevoir que mon job, c’est de jouer aux cartes. J’observe David Benyamine jouer au Limit en « Mixed Games » (High-Low, Texas, Deuce to Seven en rotation). Les enchères sont de 300/600€ et je me dis qu’il faut être fou pour risquer autant d’argent. Je regarde David jouer en tête à tête (toujours en Limit) contre Jeff Lisandro. Le français domine largement ce joueur pourtant considéré à l’époque (et encore aujourd’hui) comme l’un des meilleurs compétiteurs du monde en cash-game.Bien entendu, à cette époque, je n’ai toujours pas mes entrées au Big Game de Paname, et reste cantonné à un simple rôle d’observateur, extrêmement attentif cependant. Cette partie est essentiellement jouée en Omaha Pot Limit, sous toutes ses formes : High, High-Low, 4 cartes, 5 cartes, et un peu de No Limit Hold’em de temps en temps. On change de jeu au gré des modes et des envies, selon l’humeur du moment. On change de cercle, aussi.
Petit à petit, ce qui me paraissait inconcevable à une époque – m’assoir à cette table – commence à devenir non plus un rêve, mais un objectif. Un objectif que je poursuis sans relâche en « faisant mes classes » au Cercle Wagram, où j’ai eu l’opportunité de pouvoir jouer au dessus de mes moyens grâce à un backer (un sponsor humain) C’est là que j’ai acquis un énorme bagage technique, mais aussi et surtout que j’ai appris à gérer, amadouer et apprivoiser la pression mentale de jouer de fortes sommes.
2004. Je reviens de Las Vegas avec une bankroll gonflée d’une centaine de milliers de dollars, gagnés pour l’essentiel au Binion’s Horseshoe, où les WSOP se tenaient pour la dernière fois. C’est là que j’ai disputé ma première finale majeure télévisée. Je sors en septième place sur un coup de pile ou face : deux Dames contre As-Roi. Peu importe, avec ces gains, je dispose enfin d’un capital suffisant pour jouer à Paris. Tout du moins c’est ce que je croyais à l’époque, bête que j’étais.
Je me suis donc lancé bille en tête dans les parties à 50/100€ de l’Aviation et du CIC. Commencent alors deux années difficiles, où je réussis malgré tout à tenir le coup, en dépit de plusieurs « brokages ». A différentes reprises, j’ai en effet perdu l’intégralité de mon capital, en grosse partie à cause d’une mauvaise gestion de la pression, surtout quand j’étais en train de perdre (les petits jeunes du Net appellent ça le « tilt » !)
Ma dernière banqueroute – jusqu’à présent… croisons les doigts ! – remonte à septembre 2006. Suite à celle-ci, je décide de tenter le tout pour le tout. La partie de la dernière chance. Les parties, au pluriel : cinq soirées consécutives aux blindes à 100/200 euros, avec option illimitée (ce qui signifie que non seulement, le joueur après la grosse blinde peut miser 400 euros avant d’avoir reçu ses cartes, mais que ses voisins peut faire de même et doubler la mise chacun à leur tour, « en aveugle »)
Durant la première soirée, je monte plus de jetons que je n’en ai jamais montés en une seule session, ou presque. Une embellie qui ne va pas durer longtemps : le lendemain, je perds les trois-quarts de mon bénéfice.
Il ne reste plus que trois parties. J’ai donc intérêt à m’accrocher. Au terme de la première de ces trois dernières parties, j’ai gagné 50,000 euros. Pas mal. Il se fait tard, mais je n’ai pas envie de rentrer chez moi. J’ai envie de continuer le combat. Je remets les gants pour un tête à tête à l’Aviation. Contre un pro, un vrai. Un tueur.
Je sors gagnant de ce duel. Je remporte 162,000 euros.
Les deux séances suivantes se sont passées tranquillement. Ma bankroll n’est plus jamais retombée à zéro par la suite. J’avais enfin une place à mon nom dans l’arène. Un an plus tard, en septembre 2007, le Team Winamax prenait forme et s’affichait pour la première fois à l’EPT de Londres. La suite, vous la connaissez…L’histoire à un épilogue… Il y a cinq mois de cela, je me retrouve un soir, comme souvent, dans un cercle parisien. Devinez qui débarque ? Jeff Lisandro.
Pas de grosses parties en vue dans la section « high-stakes ». On se regarde. Il me dit :
« Let’s play heads-up. Limit heads-up. »
« Combien ? », je demande.
Il me répond : « Three-Six ». Traduction : 300/600.
Je souris. « Five-Ten would be better. »
Un croupier en table 1, s’il vous plait !