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[Blog] WSOP 2016 : bilan et analyses

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Pour la première fois depuis bien des d’éditions des WSOP, je suis arrivé très tard à Las Vegas cet été : lorsque mon avion s’est posé, les épreuves avaient débuté depuis déjà trois semaines. Ce retard était volontaire et réfléchi :

Je voulais retrouver mon état d’esprit de 2014 où, après avoir gagné le SISMIX, j’ai débarqué à Vegas pour le 6-max à 3 000$ frais comme un gardon, et je l’ai gagné. Cette année, je voulais arriver en forme afin de débuter par des tournois short-handed (un format que j'apprécie et où j'ai beaucoup perfé) et jouer contre des adversaires qui seraient forcément un peu moins en forme que moi.

J’ai voulu éviter de me retrouver en situation de burn out au moment où arrivent le One Drop et le Main Event, les deux tournois les plus importants de mon programme et qui étaient placés tout à la fin des WSOP.

Je n’ai malheureusement plus l’endurance d’une jeune de vingt ans : l’énergie nécessaire sur le plan mental (et même physique) est tellement intense qu’il m’est devenu difficile d’enchaîner un trop grand nombre de tournois tout en conservant mon A-game. Il est important de se préserver afin d’être capable de rester concentré dix heures par jour plusieurs jours de suite.

J’ai (enfin) fini par le comprendre : il n’y a pas que le poker dans la vie ! Après tous ces étés passés à jouer aux cartes dans le désert, j’ai cette fois passé du temps avec ma copine et maté quelques matchs de l’Euro à Bruxelles en compagnie de mes amis d’enfance.

10K$ 6-max : une dernière main en forme de casse-tête

Ma décision allait s’avérer judicieuse : dès mon deuxième tournoi, j’ai atteint la table finale et terminé à une belle deuxième place sur un tournoi très prestigieux au field super solide, le 6-max à 10 000 dollars l’entrée. En short-handed, on rentre forcément dans plus de coups : arriver en forme apporte donc un avantage non négligeable.

Je ne vais pas trop m’attarder à expliquer tous les détails de ce tournoi, puisque les équipes de Dans la Tête d’un Pro étaient sur place. Je vais tout de même détailler une main qui a beaucoup fait parler – la toute dernière du tournoi. De nombreux internautes ont critiqué ma décision. Sur Twitter, beaucoup n’ont pas compris tandis que des réguliers du circuit pro m’ont défendu… On refait le match.

Blindes 50 000/100 000

Au bouton, le chip-leader Martin Kozolov relance à 250 000.
De petite blinde, Justin Bonomo fait tapis pour 2,92 millions.
De grosse blinde, je découvre une paire de 6. J’ai un tapis de 3,85 millions.

Instinctivement, on dirait bien que je doive jeter mes cartes. Mais analysons la main plus en détail, histoire de voir si un call est envisageable.

Avant de considérer l'ICM, penchons-nous sur l’EV (l'espérance de gain) d’un call sur la base de l’estimation de la range de Justin Bonomo.

Martin étant chip-leader, il relance au bouton à peu près 90% des mains.

Justin envoie son tapis pour 29 grosses blindes, ce qui ne le situe pas dans la zone de resteal classique : en effet, avec cette profondeur il est censé sur-relancer beaucoup plus souvent qu’il n’envoie son tapis.

Ses mains pour sur-relancer : des cartes très fortes (10-10 et plus, As-Dame et plus), avec lesquelles il peut induire en erreur ses adversaires. Des mains de dépolarisation (comme Roi-Dame, As-10…), avec lesquelles il peut 3-bet et passer sur un shove. Et aussi, de temps en temps, des purs bluffs.

Les seules mains avec lesquelles faire tapis directement est profitable avec cette profondeur sont les petites paires, avec lesquelles il va très souvent gagner le coup sans showdown, et avec lesquelles il jouera un coup de pile ou face contre une partie de la range de call adverse (As-Roi, As-Dame).

Justin ne s’attend pas à être payé par une paire en dessous de 8, donc faire tapis avec une paire de 2 ou une paire de 7 lui donne plus ou moins la même équité. J’ai donc réduit à sa range aux paires comprises entre 22 et 99. Il y a 6 combinaisons pour chacune des paires, soit un total de 48 combinaisons possibles, mais vu que je détiens moi-même une paire de 6, il reste 42 combinaisons possibles. Je domine face à 22, 33, 44 et 55 (24 combinaisons) et je suis largement dominé par 77, 88 et 99 (18 combinaisons).

Ainsi, en considérant que mon estimation de la range de Justin est correcte, payer est très EV+.

Au cours de ma réflexion, je ne pouvais pas être certain qu’il allait faire tapis avec une paire de 2 ou de 3, et avec une paire de 9 je pensais qu’il pouvait aussi relancer (3-bet) au lieu de faire tapis. En prenant cela en compte, si je n’incluais que la moitié de ses paires de 2 et 3, ainsi que la moitié de ses paires de 9, je me retrouvais avec 18 combinaisons que je domine, et 15 combinaisons qui me battent : là aussi, j’avais une équité profitable sur le long terme.

D’un point de vue stratégique, et en tenant compte du facteur ICM (un modèle qui vous permet de déterminer la valeur en vrais dollars de vos jetons en fonction de la dotation restant à distribuer), j’avais beaucoup de bonnes raisons de tenter ce pari très risqué :

J’étais mal positionné à la table : assis à la droite du chip-leader qui relançait presque tous ses boutons, et qui ne se laissait pas faire en bataille de blindes avec la position sur moi. D’autant plus que Martin jouait au contraire plus « doux » contre Justin Bonomo pour des raisons évidentes d’ICM : il était moins intéressant de mettre la pression sur le short-stack, et il était hors de position sur les batailles de blindes.

Si j’élimine Justin Bonomo, je me retrouve en bonne posture pour aborder le tête à tête final et ainsi m’offrir une belle chance d’aller chercher la victoire (et le bracelet qui va avec).

Si le bouton se réveille avec une belle main et nous élimine tous les deux sur ce coup, je prends la deuxième place du tournoi, franchissant au passage le gros palier de gains séparant la troisième de la deuxième position.

Pour toutes ces raisons, j’ai décidé de payer… Et même si Justin Bonomo détenait ici une paire supérieure (les 9), il est important de ne pas être result oriented (c’est-à-dire de laisser le résultat final influencer le jugement que l’on gardera sur notre décision). En effet, le fait qu’il détenait une main supérieure dans ce spot n’a pas la moindre importance ! Ce qui compte, c’est de savoir si mon estimation sur sa range était correcte.

Justin est le seul pouvant répondre à cette question... Pour ma part, j’ai l’impression que la paire de 9 était le top de sa range dans ce spot bien précis. Mais je peux me tromper : peut-être qu’il joue beaucoup plus « low variance » à la fin d’un tournoi à gros buy-in, et que sa range est donc beaucoup plus serrée qu’escompté.

Je ne regrette pas trop ma décision. Elle était réfléchie, et même si je me suis peut-être trompé, au moins j’ai joué en accord avec ma lecture. La chance que j’ai eue, pour m'exprimer ainsi, c’est qu’au bouton, Martin avait bel et bien une main premium (les Dames) et est resté en tête, ce qui m’a permis d’éviter la troisième place.

Malgré la déception de ne pas avoir remporté mon quatrième bracelet, j’étais satisfait du résultat et de mes décisions tout au long du tournoi. Et avec ce beau départ, j’étais très optimiste sur la suite de mes WSOP. Le tournoi suivant, j’ai terminé 23ème parmi 524 joueurs sur le Turbo à 5 000 dollars. Ensuite, j’ai sauté rapidement de quelques épreuves : il me restait encore deux parties très excitantes, sans doute les plus importantes de ma saison poker.
 

One Drop 111 111$ : décision à la bulle

Un field magnifique de 183 joueurs (re-entry inclus) comportant des visages très familiers, et plus ou moins 10% d’hommes d’affaires.

J’ai eu du mal à faire décoller mon stack… Dès les premiers niveaux, j’ai dû faire un gros fold sur la rivière avec la deuxième meilleure main, une couleur hauteur Roi. Pendant tout le Day 1, je me suis accroché, avant de finalement monter en fin de journée en éliminant mon coéquipier Sylvain Loosli sur un coin-flip classique.

Le jour suivant, je dois admettre avoir joué plus serré que d’habitude, mais j’ai vu un peu plus du jeu convenable que la veille. A 47 restants, j’ai doublé mon tapis face à Scott Seiver (As-Roi contre As-Dame). Ce coup m’a permis de prendre de l’avancer et décupler mes espoirs d’atteindre les places payées (28 joueurs étaient ITM), et d’envisager d’aller chercher un très bon résultat.

Pour la première fois de ma carrière, le prize-pool me troublait un petit peu. D’un côté, j’avais envie de jouer serré jusqu’à l’entrée dans les places payées (166 000$ pour les premiers joueurs éliminés ITM, tout de même !) D’un autre côté, avec cinq millions pour le vainqueur, comment ne pas avoir envie de jouer la gagne ?

Finalement, mon plan de jeu s’est situé quelque part entre les deux : j’ai essayé de ne pas prendre trop de risques, sans pour autant prendre peur face à un spot me paraissant profitable.

A un moment, on m’a changé de table. Je me suis retrouvé face à un casting très relevé, mais à ce moment-là il ne restait aucune table facile dans le tournoi. Et puis est arrivé une main qui allait se révéler décisive.  

Blindes : 25 000/50 000
Mon tapis : 2,2 millions

Deux places avant le bouton, Mustapha Kanit relance à 110 000.
De petite blinde, je paie avec A10.
De grosse blinde, Adrian Mateos fait de même.

Pot : 350 000

Flop : 10-9-5 dépareillés.

Nous checkons tous les trois.

Turn : 2

Je check encore, car je sais que très souvent, Adrian va miser. Je veux le laisser bluffer. Il mise 250 000. Mustapha paie. Je paie aussi.

Pot : 1,1 million

A ce moment-là, je pense avoir très souvent la meilleure main. Avec une overpaire ou un brelan, Mustapha aurait c-bet. Adrian est très agressif, et face à lui Mustapha et moi représentons tous les deux des mains très faibles.

Rivière : 3

Je check. Adrian mise 700 000. Mustapha réfléchit un moment, et abandonne. J’entame moi aussi une très longue réflexion, puis finis par payer. Adrian me montre 103 pour deux paires trouvées sur la rivière.

J’ai payé car j’estimais que Mustapha était pris en sandwich et avait une range cappée (c'est à dire ne contenant certainement pas de jeu max) : Adrian savait qu’il allait donc abandonner la plupart du temps. Quand à ma range perçue, elle comprend souvent des tirages (une main comme Dame-Valet est cohérente, par exemple), et parfois une top-paire. Donc Adrian pouvait très bien profiter de l’effet sandwich pour bluffer sur ce spot.

L’élément qui pose problème dans ce spot est le montant misé par Adrian : sa mise ressemble tout de même beaucoup à un value-bet. Je pense que si Adrian avait voulu bluffer ici (à l’approche des places payées), il aurait overbet à tapis. Mustapha et moi avons un tapis représentant 1,5 fois le pot, et notre range est cappée. Adrien, lui, a un stack énorme : s’il avait voulu bluffer ce spot, il aurait opté pour une taille de mise différente.

De plus, en payant je me mets dans une situation délicate à l’approche de l’argent : en cas de défaite, je réduis considérablement mes chances d’ITM.

Et c’est bel et bien ce qu’il s’est passé : j’ai été éliminé peu de temps après, suite à deux tapis préflop avec deux Dames contre Dame-10, puis K9 contre As-Valet.

Cette élimination fut difficile à digérer. Non pas à cause du bad-beat avec les Dames, où de la proximité des places payées, mais bien à cause de cette décision rivière que j’ai beaucoup regretté avec du recul. Mais bon, les erreurs font progresser : c’est normal d’en commettre, il faut les accepter, et surtout en retenir les leçons nécessaires pour ne plus les reproduire. Ce qui est certain, c’est que ce coup au moral m’a clairement renforcé mentalement.


Un Main Event sans

Même si je l’avais fixé comme l’objectif principal de mon année, le Main Event des WSOP ne fut pas le succès escompté. J’ai été éliminé vers la fin du Day 2.

Certes, j’étais encore un peu assommé de ma sortie du One Drop, mais cela n’est pas une excuse, et cela n’a pas influencé mon jeu. Je pense sincèrement avoir été card dead pendant les deux jours qu’ont duré mon Main Event, et dans ces conditions il est toujours difficile de s’en sortir.

Le bilan de mes WSOP 2016 est néanmoins très satisfaisant : j’ai gagné de l’argent et j’ai retenu beaucoup de leçons très enrichissantes pour le futur !


Allez Kenny !

En conclusion, je tiens à féliciter Kenny Hallaert, qui disputera en novembre la table finale du Main Event. Après les performances de Pierre Neuville (une seconde place dans un 6-max), Michael Gathy (un bracelet et deux secondes places), ou encore Bart Lybaert (dix places payées, dont trois finales et une seconde place), cela ne fait que confirmer les résultats exceptionnels des belges durant les WSOP 2016.

Mes espoirs se tournent vers l’EPT Barcelone, qui débute cette semaine avec des tournois magnifiques : le Main Event à 5 000 €, deux épreuves à 10 000€, un turbo à 25 000 €, et peut-être le Super High-Roller à 50 000 € si j’arrive à trouver le financement nécessaire.

Fiiiin bon ! Allez saluuuuut, COAD !


KitBul

EPT, WPT, WSOP : pas un circuit majeur n’a résisté à l’appétit de victoire du Belge du Team Winamax, qui n’est pas pour autant rassasié.

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