[Blog] Vegas après Vegas
Par Cash Game Live
dansLe saviez-vous ? Lorsque l’on est citoyen de l’Union Européenne, il est possible de séjourner 90 jours d’affilée aux Etats-Unis avec un simple visa touristique. Un avantage très pratique dont j’ai décidé de profiter au maximum cet été en restant à Las Vegas quelques semaines de plus après la fin des WSOP.
Mes WSOP ont été décevants cette année, frustrants même. Je pourrais faire un blog pour expliquer que je suis néanmoins satisfait de la façon dont j'ai joué et comment j'ai géré mentalement cette période, mais je n'en ai pas spécialement envie. Je ne ferais pas non plus un article pour raconter ce que j'ai fait de mieux par rapport à l'an dernier, ce que j'ai mal fait ou ce que je dois encore travailler, je garde ça pour la fin d'année. Bon, je ne vais pas non plus passer cet article à expliquer ce dont je ne vais pas parler !
L'an dernier, suite à une fasciite plantaire contractée en fin de séjour, j'ai été plus ou moins contraint de prolonger mon séjour à Las Vegas : j'en ai profité pour pas mal jouer en cash-game. Cette année, point d'étirement de la voûte plantaire, mais plutôt une petite contraction financière classique après les WSOP. L'attrait des tables de cash game et l'envie de repartir de Las Vegas sur une dynamique positive m'ont décidé à renouveler l'expérience cette année.
A la fin du Main Event, la quasi-totalité des participants aux WSOP (et donc des Français), quittent Las Vegas en masse. Après la grande transhumance de début juin, l'exode massif de mi-juillet. L'ambiance change totalement. On se retrouve presque seul dans une ville éveillée 24 heures sur 24. C'est assez marrant et intéressant de voir comment on s'adapte à cela. L'an dernier, j'étais resté jusque début août. J'avais bien joué et eu probablement pas mal de réussite au début, mais j’ai craqué sur la fin, probablement une sorte de burn-out dû au fait de rester seul dans une ville telle que Las Vegas. J'étais donc curieux de voir comment j'allais gérer ça cette année.
Je n'ai joué quasiment qu'aux limites 2$/5$, à l'Aria, au Venetian et au Wynn. Ces établissements font partie des endroits où les tables sont ouvertes tout le temps, avec un confort parfait et un personnel de qualité (floors, croupiers, serveurs). Même si le niveau est plus faible aux limites 1$/3$, ses tables sont moins rentables et moins intéressantes en terme de temps passé et de profondeur des tapis. Pour jouer à ces limites plus basses, je recommande d'ailleurs d'aller dans des casinos autres que ceux que j'ai mentionnés, où il y aura moins de joueurs réguliers et plus de touristes amateurs.
A partir des limites 5$/10$, les parties deviennent moins simples, avec plus de joueurs réguliers et agressifs, des tapis plus profonds et donc beaucoup plus de variance. Mon objectif n'était pas de devenir un spécialiste du cash game live et je me suis donc cantonné aux limites 2$/5$. Beaucoup de joueurs possèdent au moins 100BB devant eux. Il est même possible d'en poser 200 maximum à l'Aria et au Venetian, et 300 au Wynn. Un large choix de tables et de parties sont à disposition entre 14 heures et 3 ou 4 heures du matin. Il y a rarement plus de deux ou trois vrais bons réguliers par table.
Ces tables, composées en majorité d'américains et par conséquent de moins d'européens, sont en quelque sorte plus maniables, plus agréables (je n'irais pas jusqu'à dire plus faciles !) car vous vous retrouvez moins souvent dans des pots 3-bet ou check/raise à la turn. Bref, vous n'êtes pas en maladie vingt fois par session ! Dans cette optique, j'ai trouvé qu'aller jouer au Venetian l'après-midi était parfait : beaucoup de quinquagénaires y font leur session. Je citerais un grindeur français qui, en caricaturant un peu, m'a dit que c'était un peu comme jouer à la bataille : très souvent, si une grosse carte apparaît sur le board, le coup est abandonné jusqu'au showdown.
Un meilleur niveau général
Il peut néanmoins être difficile de faire un gros écart sur ces tables, le « grind » s'apparentant à une succession de petits coups gagnés. Car, à moins de réellement agacer vos adversaires, ils ont tendance à être prudents et ne font pas autant d'erreurs dans les gros pots que l’on pourrait l'espérer. À partir du début de soirée, les parties deviennent plus animées (cela peut parfois durer jusqu'au lendemain midi), ce qui peut rendre le train-train quotidien un peu moins lassant, notamment au Wynn où quelques joueurs réguliers aiment bien mettre rapidement les jetons au milieu. Les pots après le flop sont ainsi souvent deux à trois fois plus gros qu'à l'Aria ou au Venetian.
Globalement, j'ai eu le sentiment que le niveau était quand même légèrement supérieur, comparé à l'an dernier : certes les joueurs restent relativement prévisibles comparés aux Français, mais je me suis fait sur-relancer plus souvent (même si c'était souvent au bouton et qu'on le voit venir de loin). Il y a moins de livraisons dans les gros pots et un peu moins d'erreurs après le flop. J'ai mis un peu de temps à comprendre et me suis finalement adapté en jouant un peu moins « loose », en cherchant moins souvent l'accident et en sur-relançant plus souvent.
Je pense que cette succession de parties quotidiennes en live m'a entraîné à réfléchir sur mon éventail de mains, en sélectionnant mieux mes mains de départ selon les tables et les profils de mes adversaires. Vous me direz que c'est la base du poker et vous avez raison. Pour un régulier de cash-game online utilisant un tracker, ces ranges deviennent quasi automatiques. Pour un joueur de tournoi comme moi, ça l’est déjà moins, le montant des tapis évoluant perpétuellement. Le fait de jouer en live sur une longue durée et d'avoir le temps de réfléchir entre les coups m'a permis d'être plus efficace dans ce processus de réflexion que l'on doit avoir d'anticiper ses décisions. Le fait d'avoir le temps a finalement amélioré mes réflexes. Se retrouver longtemps contre des joueurs aux profils souvent similaires m'a aussi permis de travailler mon ressenti et mon intuition à la table. Même si je suis loin d'être devenu un spécialiste au niveau des « tells », j'ai le sentiment d'avoir gagné pas mal d'assurance dans ce domaine.
Au niveau mental, beaucoup de personnes m'ont demandé si je n'avais pas fini par craquer ou par devenir fou en restant autant de temps quasiment tout seul à Las Vegas. Il faut dire qu’au départ, je ne pensais pas rester aussi longtemps. Mais finalement, j’ai repoussé plusieurs fois mon retour.
J'ai par ailleurs pris cela à la fois comme un challenge instructif et un bon moyen d'entraînement : si j'arrive à rester concentré et à bien jouer aussi longtemps dans une ville comme Las Vegas, sans personnes proches à mes côtés, sans coverage, sans tournois, il me sera d'autant plus simple d'être au top de ma concentration pendant les cinq ou six jours que peuvent durer un EPT. Je cernerai également mieux les avantages et les inconvénients de me mettre dans ma bulle.
Accepter la solitude
Bien entendu, j'ai été capable de rester car la solitude ne me pèse pas trop en général. Cela peut même procurer un sentiment de liberté lorsque l'on n'a pas de contraintes, surtout dans une ville comme Las Vegas où tout semble disponible 24 heures sur 24. Et encore plus si l'on est venu pour jouer au poker.
Au départ, j'ai plutôt bien réussi à tenir une certaine routine au niveau du temps à la table, je me forçais à réévaluer fréquemment la rentabilité de la table où je jouais. Je m’obligeais aussi à passer un peu de temps à la piscine, en salle de sport ou à bouquiner pour m'aérer l'esprit. Mais comme je m'y attendais un peu, la lassitude s'est quand même installée petit à petit. J'ai tout de même fait quelques rencontres, notamment un brillant couple de Français, Christelle et Cyril, venus comme moi pour jouer en cash game. Mais le fait est qu'il n'y a pas vraiment d'échappatoire à Las Vegas si l'on ne sort pas de la ville et que, de surcroît, on loge à l'hôtel. Tout est à disposition tout le temps, ce qui finit par vous donner le sentiment que tout se vaut : les hôtels se ressemblent de plus en plus, les sorties commencent à avoir la même saveur et chaque session vous laisse le même goût que celle de la veille.
J’ai certes fait une pause de trois jours : une visite au Mont Charleston (photo). Malgré cette pause, la lassitude était toujours présente à mon retour. J’ai senti que j’éprouvais moins de plaisir à jouer, que j'étais un peu moins patient, moins précis et concentré. Une prise de conscience plus forte que l’an dernier. Deux solutions se sont donc offertes à moi : rentrer à la maison ou trouver un compromis entre mon A game et mon B game, suffisant pour gagner lorsque je sentais que je n'allais pas être capable de tenir mon A-game toute la durée d'une session
J’ai opté pour la seconde solution : un bon entraînement pour le jeu de tournoi puisqu'il peut arriver de se sentir tout d'un coup un peu moins bien. Je me suis accordé plus de libertés, j'ai cessé d'avoir une routine régulière en terme d'horaires et je me suis autorisé à prendre plus de risques à table. En contrepartie, je me suis astreint à réévaluer plus souvent ma situation à table, la rentabilité de celle-ci et à partir lorsque je sentais que je n'avais plus de patience. J’ai moins joué et je me suis octroyé plus de loisirs.
J'ai le sentiment que le plan a fonctionné à moitié. C'est difficile à évaluer car j'ai eu beaucoup moins de réussite la dernière semaine. Celle-ci fut néanmoins bien plus instructive que l’an passé même si je ne recommanderai pas ce compromis.
Grâce à cette immersion à Las Vegas, j'accepte mieux mes erreurs et digère mieux les coups compliqués. Mis à part les réseaux sociaux, vous vous retrouvez quand même tout seul à table, sans personne à qui raconter de vive voix votre coup dans les prochaines heures. Bref, vous n'avez pas le choix, il faut accepter et oublier le coup passé pour se remettre dans l'instant.
Pour conclure, même si les derniers jours ont été un peu délicats, le bilan de mon séjour reste positif. Je n'ai pas eu de révélation au niveau technique ou mental, mais le fait de jouer quasi quotidiennement sur une aussi longue période, dans un format quelque peu inhabituel pour moi, m'a permis de réfléchir, d'affiner des réflexes, d'apprendre à mieux me connaître et me gérer. Des enseignements dont j'ai le sentiment d'avoir déjà réussi à tirer profit au WPO Dublin, pour mon premier tournoi live depuis mon retour. J'espère pouvoir les mettre en oeuvre sur le long terme.