[Blog] To bluff of not to bluff ?
Par Tournois Live
dansAu départ, j’avais envie de consacrer ce nouveau blog à un résumé de mes Championnats du Monde 2022. J’avais envie de vous raconter à nouveau mon Main Event - en une fois, pas en six - car j’ai encore vécu quatre jours très intenses sur le plus beau tournoi de la planète. Oui, il y avait encore de la matière pour écrire, car il y avait vraiment moyen d’aller chercher ces 10 millions de dollars. Je réserverai une version longue pour un meilleur deeprun : cette fois je vais vous la faire courte, en quelques petites phrases. 500 joueurs restants. Un gros coinflip. Deux Dames, avec lesquelles j'étais relativement content de payer un gros 4-bet all-in. 140 blindes au milieu. As-Roi en face. Un adversaire pris en sandwich qui fold As-Dame face up. Et un Roi au flop venant mettre fin à mes espoirs. Not this time, mais je reste très satisfait des 37 heures de poker passées sur ce tournoi. C'est mon troisième Day 4 sur le Main et j'ai atteint l'argent sur les trois derniers que j'ai disputés : c'est tout de même pas mal ! Je me sens davantage prêt à faire encore mieux sur la prochaine édition.
Mais on ne peut résumer mes WSOP 2022 au seul Main Event. Alors, j'ai aussi pensé vous parler de quelques coups-clés, lors de deepruns bien vibrants. Deux tournois à 3 000 $, puis le 10 000 $ 6-max m’ont en effet fourni des mains ultra-intéressantes. Mais bon, je voulais écrire sur quelque chose d’un peu plus original, d'autant plus que je commente déjà des dizaines de mains lors des épisodes de Dans la Tête d'un Pro aux WSOP 2021, qui sont sortis tout au long de l’été. Et mon thinking process, vous commencez à le connaître parfaitement - même si honnêtement, il change souvent -. Je vais donc plutôt vous parler d'une prise de conscience personnelle qui est assez propre au live et qui peut largement s’apprendre, et se désapprendre.
Trouver la sérénité
J’ai un souvenir assez vif de mon premier tournoi après la reprise post-Covid. Nous sommes en octobre 2021, sur le 1 500 $ 6-max des WSOP. Je vis le début de ma 4e campagne vegassienne et ma sixième année en tant que joueur pro. Pourtant, après 18 mois d’absence sur le circuit, je suis très surpris par mes propres réactions, qui me montrent que je ne suis plus aussi à l’aise qu'avant en live. Je suis en train de faire l’un de mes premiers bluffs live depuis quasiment deux ans, et ainsi mon cœur s’emballe, bien plus que prévu. Je me remémore à cette occasion à quel point les sensations du live sont extrêmement puissantes, d’autant plus après une longue pause. Car ce n’est pas parce que j’ai joué un million de mains dans le passé que la confiance règne forcément tout le temps... Mon adversaire m’observe, et détecte sûrement mon malaise : il paye et le bluff ne passe pas.Il m'est arrivé la même chose cette année : sur la première main du High Roller à 25 000 $ (mon deuxième ou troisième tournoi de l’été), je me retrouve à 3-bet light et je me dis que je m’embarque peut-être dans un coup où je vais devoir mettre beaucoup de pression post-flop en bluff. Cette seule idée me met mal à l’aise, instantanément. Le coup en question se termine bien, certes, mais je retiens plutôt ce malaise. Une petite voix interne me rappelle à quel point ce jeu est difficile...
Je décide alors que l’un des points mentaux les plus importants de mon été sera d'être plus serein dans les moments stressants. Finalement, c’est pour ces moments que l’on adore ce jeu : ce sont les souvenirs les plus marquants, les émotions, les éléments les plus perturbateurs lors de notre réflexion interne qui nous marquent le plus. "Vous devez apprécier les moments stressants", nous a d'ailleurs lancé Adrián Mateos lors de sa Masterclass durant le séminaire du Team W. Sa phrase est restée ancrée en moi, car c’est vrai : plus on s’habitue à l’inconfort, plus on peut y prendre du plaisir, et plus le poker devient facile. Pourquoi me mettre une pression supplémentaire juste parce que je bluff ? J'ai déjà pris ma décision que j’espère rationnelle, j'affronte mes émotions et mes doutes face à un adversaire qui à l’importante tâche de résoudre l'énigme. Je dois essayer de me faciliter la vie.
Aussi difficile que cela puisse paraitre lorsqu'on est en pleine action, bluffer fait partie intégrante du jeu. Que ce soit pour le poker live ou en ligne Je préciserai qu'online, c’est plus facile : on est derrière notre PC en pyjama, sans réelle interaction humaine, et il suffit de quelques secondes pour cliquer sur un bouton et balancer un gros bluff. Mais face à un adversaire en chair et en os, qui lui aussi joue sa vie, c’est différent. L’idée d'être éliminé du Main Event, le tournoi qui compte le plus au monde à ce moment précis, et ce en étant certain d’avoir la moins bonne main, est complètement contre-intuitive. Il y a un côté suicidaire à tout ça. Pourtant, il faut contrôler ce mécanisme de défense naturel qu’on a tous en nous.
Me concernant, une voix dans ma tête essayer toujours de me faire choisir l’option safe :
"Regarde-le, lui, il ne te croira jamais !"
"T'es vraiment sûr de ton coup mon gars ?"
"J’ai la gueule du jeune, si il y en a bien un contre qui il va payer, c’est moi"
"J’ai payé trop rapidement au turn, c’est mort"
"T’as le temps, regarde comme il a mal joué le dernier coup, ça se trouve il en jouera d’autres aussi mal quand tu auras une main, ce sera plus facile..."
Oser une nouvelle approche
Tous ces mécanismes de défense, ces voix qui résonnent dans ma tête lors de deepruns sur les WSOP, sont décuplées lors des moments les plus importants et les plus gros tournois. C’est pour ça qu’il y a seulement une grosse poignée de joueurs capable de jouer leur meilleur jeu dans ces moments-là. Il faut commencer par accepter la difficulté de la tâche, se lancer, prendre de l’expérience. Il faut accepter que nos coups les plus moches, qui pourraient nous donner un sentiment de honte, servent à la place de leçons ou d’entrainement, avec comme objectif l'acquisition de confiance et de détachement. Des mains que vous détesterez sur le moment, mais qui finalement vous seront bénéfiques à long terme, ça existe. C’est devenu l’un des points sur lesquels je me focalise le plus : essayer de trouver les spots que je ne trouvais pas auparavant. C’est dangereux, mais je me sens prêt.Et quel meilleur tournoi que le Main Event pour débattre de cette envie d’agressivité ? Quelle stratégie y adopter ? Souvent, on entend ce genre de mantra : "Le Main Event est le tournoi avec la plus belle structure du monde, le tournoi qui réunit le plus d’amateurs sur un buy-in aussi cher, alors c'est vraiment le MTT où la patience prime." C’est vrai, très vrai même : si tu veux gagner le tournoi, il ne faut pas être éliminé durant plus de 100 heures de poker, ne pas perdre une seule fois l'intégralité de son tapis, qui oscille généralement entre 300 et 10 blindes. Oui, 100 heures. Sauf qu'on joue quand même au poker : on ne touchera pas un full house ou une couleur toutes les demi-heures. Et reconnaître qui chez vos adversaires est capable de poser des gros bluffs ou non pourrait certes s’estimer à l’oeil nu, mais avec un très faible taux de réussite. Pour augmenter notre capacité à déceler qui à notre table semble capable de miser gros, sans rien, il faut se mettre à la place des joueurs en question. D’autant plus que je suis incapable de me souvenir de très gros bluffs lors des quatre derniers Main Events que j’ai joué, alors que pourtant j’ai monté des jetons. Tout cela est contre-intuitif, mais j'en reviens à la phrase d’Adrián.
Cette année, j'ai donc modifié l'approche de mon tournoi par rapport aux années précédentes. Je l’ai attaqué de manière plus aggressive avec des sizings plus élastiques et potentiellement plus gros. Après tout, on joue au Texas Holdem sans limite de pot : alors pourquoi ne pas se servir de la taille de notre stack pour sortir des idées reçues, des mises et des sizings complètement propres à ce tournoi, pour plutôt s'adapter mes adversaires et à l'instant T ? Quinze minutes après m'être assis, j’envoie une mise de deux fois le pot avec un tirage de quinte ventrale, défendue par la BB sur un tableau hauteur Roi que mon adversaire n’a pas c-bet. Il entre dans le tank. La première voix, celle qui fait un peu stresser, est toujours la même. "Mais pourquoi t’as choisi cette stratégie ? Pourquoi aller contre l’idée que tu avais sur les autres Main Events ? Tu crois vraiment que tu vas réussir à faire un gros bluff river dès le deuxième niveau ?" Puis, quand mon adversaire rend ses cartes au croupier, une toute nouvelle et timide voix apparaît dans ma tête. C'est celle qui n’a pas trop pu s’exprimer sur les précédents Main Events. Elle me dit : "Ce n’est qu’une main, t’emballes pas, mais c’était assez cool."
Une petite demi-heure plus tard, je défends As-Valet après une relance du cut-off. On check le flop A-6-6, le turn est un 3 qui apporte deux tirages couleur. Je check/raise de 900 à 3 800 suite à son delayed c-bet. Il paie et la river est un autre 6. On partage quasiment tout le temps dans cette situation. Il y a 9 000 jetons au milieu, et on joue 60 000 de tapis effectif. J’hésite un moment, puis cette voix un peu timide resurgit, et me pose une petite question, qui fait directement augmenter mon rythme cardiaque : "Miser plusieurs fois le pot, ça serait cool non?" Whaow… Je n’ai jamais fait ça mais là, un sizing pareil, ça me semble emporter la mise 100% du temps. Je décide alors d’accorder une nouvelle chance à cette petite voix, en étant assez certain que mon adversaire aurait c-bet un 6 et que je suis le seul de nous deux à pouvoir posséder un carré sur ce coup. C’est parti : je mise 36 000 jetons. Mon adversaire réfléchit tête basse quelques secondes, demande à la croupière si c’est bien un jeton de 25 000, me lance un sourire, puis me fait le regard du "Tu me prends pour un con là" et jette ses cartes en disant "Nice bet". Oui il s’en fout, il a 80 000, et il n'avait investi que 4 000 dans le pot.
Tout ne tient qu'à un fil
C’était un petit coup insignifiant, mais qui a provoqué un déclic chez moi à ce moment-là. Le Main Event, c'est un tournoi auquel je tiens plus que n'importe quel autre. Mais si je suis assez patient et que je trouve des bons spots de bluffs, je dois les prendre. Ce sera difficile, et encore davantage au fur et à mesure que le tournoi avancera. Mais si trop de voyants sont au vert, il faut désormais que je domine ma peur. Cependant, je ne dois pas être trop gourmand, et c’est bien ça le plus compliqué : cette petite voix monte en puissance à chaque bluff réussi.Quelques temps plus tard, en fin de Day 1, je check/raise au flop, puis je mise encore au turn, assez cher, avant d'abandonner sur la river. Je ressors un peu secoué de ce coup car je pense qu'une troisième mise aurait fonctionné. J'avais pourtant l'impression d'avoir retenu la leçon une heure avant... En fait, je n'aurai rien compris ? La tête me tourne... Mais une leçon ne s'apprend pas en une fois : il faut forcément du temps pour intégrer chaque nouvelle idée. Les jetons vont et viennent, mais c’est ce qui reste dans la tête qui importe.
Nous arrivons à la fin du Day 1 du Main Event, et je me retrouven donc déjà englué dans une querelle interne. Qu'il est difficile cet objectif ! Il faudra tenir dix heures par jour, toute la semaine prochaine. Alors il faudra rester focus sur le moment présent, rester calme et concentré. Prendre les jours les uns après les autres. Un jour ça le fera. I feel it.
À l'heure du bilan, c'est sur ce point majeur que je tire une réelle satisfaction de ces WSOP. Pas tant sur le plan financier ni sur le plan sportif ou même sur le plan nutritif… Mais vraiment sur le fait d'essayer de prendre du plaisir durant les nombreux moments d’inconfort qui surgissent quand on laisse nos peurs de côté. Et tout ça, c'est grâce à cette petite phrase d’Adrián qui paraissait banale, mais qui est restée imprimée dans mon cerveau tout l’été. Gracias amigo ! Pour l'EPT Barcelone, je compte continuer cet apprentissage : mais j'y ajouterai le combo padel, brocolis et pompes le matin, et les 10 kilomètres de course à pied en mode détente histoire de m’échauffer tranquille sans trop transpirer avant les tournois. Je ne vois pas comment cela pourrait ne pas tourner dans le bon sens...
That is the question.