J'ai découvert le Sénégal il y a quinze ans, d'abord en l'imaginant. J'étais alors un jeune joueur de poker semi-amateur, et je dévorais avec passion les blogs du Team Winamax, et notamment ceux de mon ami Antony Lellouche. À l'époque, je ne le connaissais pas, et loin de moi était l'idée qu'un jour, ce serait moi, derrière mon ordinateur, qui écrirait ces quelques lignes pour vous partager ma vie en tant que membre de l'équipe.

Le blog s'appelait Destination Terrou-Bi et Antho y relatait ses parties de cash game high stakes endiablées. Je m'imaginais les pots de plusieurs centaines de milliers d'euros échangés, et je humais l'atmosphère particulière qu'il devait y avoir en terre dakaroise.

Et me voilà, quinze ans plus tard, Team Pro Winamax à mon tour, et cela fait maintenant quatre ans que je me rends chaque année au Terrou-Bi, un hôtel situé au sud-ouest de Dakar, afin d'y disputer des parties de poker mouvementées. Début janvier est donc synonyme pour moi d'une quinzaine de jours au soleil, sous une moyenne de 30 degrés, avec une ambiance que je ne retrouve nulle part ailleurs. Le festival s'appelle le Dakar Poker Tour et le rythme de grind y est bien particulier. Les tournois commencent souvent vers 18 heures, laissant aux joueurs le loisir de profiter de la piscine et de la plage privée. À 20 heures, durant le dinner break, un buffet gargantuesque est mis à disposition des joueurs et je dois bien l'avouer : j'ai un peu abusé des bonnes choses. Thon frais pêché du matin (dont un faisait plus de 300 kilos !) shawarmas à la demande, côtes de bœufs au braséro… Il me serait impossible de vous dresser la liste complète des plats délicieux que j'ai pu goûter. Quant au vin… il est à volonté !

Un call légendaire

Mais assez parlé des extras, concentrons-nous maintenant sur le poker. Les buy-ins sont assez hétéroclites, entre 500 et 3 000 euros avec un Main Event à 1 350 €, et le field est assez extraordinaire. D'abord, parce que les joueurs sont principalement des joueurs de live n'ayant jamais regardé une vidéo stratégique de leur vie, et d'autre part car les profils sont hyper intéressants. J'y ai rencontré pêle-mêle un des plus grands avocats dakarois, que tout le monde appelait "maître" à table, des restaurateurs très sympas de Saly (une ville côtière voisine) ou encore JR, un jeune passionné de poker tenant un resto en face de l'île de Gorée. Le rythme est soutenu, car Winamax Series obligent, je "multitable" tout le long du séjour. Quatre tables des plus gros buy-ins sur l'iPad tout en essayant de développer des reads en live, il faut être sacrément concentré pour ne pas perdre les pédales.

J'ai commencé le festival avec une main hallucinante sur le 500 € d'ouverture. Apres un limp, j'isole QJ 40 BB deep (soit 2,5 tapis de départ) et le joueur de big blind, habillé en costume traditionnel, me 3-bet. Je l'avais déjà vu faire des moves fantasques avec des poubelles, donc j'ai décidé de prendre mon équité et je suis parti à tapis.

Il a longtemps réfléchi avant de prendre une pile de jetons et de la claquer sur la table. Je suis resté bouche bée en voyant que je faisais face à une main absolument mythique : 23 ! Là où l'histoire devient légendaire, c'est que le flop vient 3-3-9, pour offrir brelan à mon adversaire. Une clameur s'est élevée dans toute la salle et je suis allé parler aux mouettes, les yeux dans le vague, pendant bien trente minutes !

Mais les choses se sont plutôt bien terminées. Après avoir remis une bullet en late reg au Day 2, je termine ensuite 3ᵉ du tournoi pour 4 000 €, tout en qualifiant le Day 2 du 1K des Series avec près de huit tapis de départ.

Des conditions (quasi) optimales

C'est donc remonté à bloc et super confiant que j'ai entamé ce séjour en terre africaine… avant qu'un événement imprévu vienne enrayer la machine. Ma compagne Delphine est tombée très malade – c'est le risque parfois lorsque l'on voyage dans des pays "exotiques". Il est 19h58, il fait nuit noire et Delphine est au plus mal. Je l'entends vomir dans les toilettes. La petite est dans son lit-bébé, mais elle sent bien que quelque chose ne va pas. Elle pleure à chaudes larmes et crie son mal-être. Je suis devant le PC, mon Day 2 va commencer et je réalise que faire face à cette situation va être délicat. Je m'occupe tant bien que mal de Victoire en la prenant sur mes genoux, mais elle essaie sans arrêt de toucher le pad et le clavier et il m'est difficile de jouer mon A-Game.

Le dieu du poker est facétieux : il me fait terminer à la bulle, sans encaisser un seul bounty. La catastrophe. Je ferme mon laptop doucement, presque soulagé de pouvoir prendre soin de ma femme et de ma fille. Après ça, le séjour poker est allé de mal en pis : une bulle sur le Highroller à 2 000 € et trois bullets sur le Super High Roller à 3 000 €, dont deux perdues avec les Rois à tapis préflop, contre les As puis As-Dame. Si j'ai éprouvé parfois un peu de frustration, je suis tout de même fier de la façon dont nous avons fait face à ces événements hors de notre contrôle qui ont plombé le résultat financier du séjour. À peine éliminé du SHR, je me suis inscrit en late reg sur un 500 € Mixed PLO/Hold'em et ai fait la table finale, avant d'enchainer avec un autre 500 €, sur lequel j'ai fini 3ᵉ pour près de 3 000 €.

C'est sans doute ce dont je suis le plus satisfait lors de ce séjour. À aucun moment je n'ai abandonné et j'ai continué à faire mon métier du mieux que je pouvais. Bien entendu, il était beaucoup plus facile de le faire dans les conditions paradisiaques que nous offre le Terrou-Bi. La veille de notre départ, nous sommes tous allés manger sur la plage, les pieds dans l'eau. Je vivais un de ces moments hors du temps qui valent tout l'or du monde. Alors encore une fois, merci au Sénégal, merci aux Dakarois, et merci au Terrou-Bi de me permettre chaque année d'échapper au froid le temps d'une quinzaine et de m'offrir un peu de chaleur en hiver. Et ne vous inquiétez pas, l'an prochain, je reviendrai avec un trophée !

Les pages à suivre