[Blog] Mes trois plus gros bad beats

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Pierre Calamusa / Blog 28/06/2024
Il y a un an, je vous racontais les plus gros « good beats » de ma carrière. J’évoquais notamment cette paire de 6 qui fait brelan pour craquer les Dames de Guillaume Diaz en finale du WPO Dublin. Mais j’aurais pu tout aussi bien parler de ce As-Roi qui réussit à battre AA en demi-finales du 3 Million Event des Winamax Series… Les exemples sont nombreux, car on ne va pas se mentir : beaucoup de fois, les cartes m'ont favorisé au cours des quinze dernières années. “Ouais, standard pour un Team Pro”, rétorqueront les petits malins dans les commentaires. Oh, rassurez-vous : même si ça s'est moins vu, j’ai aussi connu mon lot de bad beats ! On ne peut pas toujours être du bon côté de la variance... Donc accrochez vos ceintures : je vous embarque dans le côté obscur, celui des coups de poker qui font hurler de fureur et taper du poing sur la table.

Barcelone, 2018 : on joue un très beau tournoi, le partypoker Millions à 10 000 balles l'entrée. Je suis en pleine confiance, mon jeu agressif se développe tout au long du tournoi, résultat : je ne décolle pas du peloton des chip-leaders pendant trois jours d'affilée. Un brelan qui overbet à tapis sur la rivière contre Philippe d'Auteuil... deux paires trouvées rivière pour craquer la paire d'As d'Adrian... et en plus, les caméras de Dans la Tête d'un Pro sont braquées sur moi.

Rien ne semble pouvoir m'atteindre dans ce tournoi de rêve, malgré le field ultra relevé (la faute aux re-entries illimités qui donnent aux top regs de multiples chances de se relever). Le prize pool, lui, est gigantesque, avec 1,7 million d'euros promis au vainqueur. Je paie le tapis d'un short-stack avec 99, il retourne As-Roi : je fais éclater la bulle. Min-cash assuré de 25 000 €, mais j'ai les yeux rivés sur les prix énormes de la table finale. Rapidement, on tombe de 150 à 50 joueurs. Bondée un peu plus tôt, la salle s'est vidée, l'atmosphère s'est tendue, on le sent à chaque coup. Mais tout me réussit, encore et encore. Un gros hero call contre Diogo Veiga avec hauteur As : me voilà dans le top 5, il reste 45 joueurs, j'ai 50 blindes.

Pierre Calamusa / Blog 28/06/2024Blindes 125 000 / 250 000, au bouton Anton Wigg relance à un million. Je suis en petite blinde, je regarde mes cartes, pincez-moi je rêve : deux As. Sur-relance à 2,3 millions de ma part. Après un temps de réflexion qui me paraît interminable, Anton avance une énorme pile de jetons. Un 4-bet valant 6,5 millions. Évidemment, avec mon image super agressive, hors de question de slowplay. Je pars à tapis, et Anton me snap call. Je retourne mes As, il est ultra-dépité en montrant ses deux Dames. Un pot de plus de 50 millions vient de se créer : c'est plus de trois fois le tapis moyen alors qu'il ne reste qu'une quarantaine de joueurs. Le flop tombe 8-9-10, mon cœur va exploser. La turn est un 10 qui ne change rien…

Je me souviendrai toute ma vie de ce Valet s'écrasant à la rivière, donnant la quinte à Anton. Nos tapis respectifs sont tellement énormes qu'un superviseur est appelé pour aider le croupier à les compter. Leurs montants sont identiques au jeton près... Je suis éliminé. Je suis sonné. Le regard dans le vide, je titube à travers la salle du Gran Casino Barcelona, elle me paraît tout à coup immense. Je croise Davidi et Patrick Bruel qui sont encore en course, sur l’instant leurs mots gentils n’ont aucune chance de me réconforter. Tout s'est arrêté de manière si brutale... Je me retrouve dans la salle principale du casino, celle des jeux de hasard. Aurélien « Guignol » Guiglini est accoudé au bar, il me paie un verre, on refait un peu le monde à deux. Trente minutes plus tard, toute ma peine et ma tristesse ont disparu. Après tout, ce ne sont que des cartes, je viens quand même de gagner 40 000 €, et je sais que d'autres opportunités se présenteront.

Pierre Calamusa / Blog 28/06/2024
« Mais comment tu fais pour t'en remettre aussi vite ? », s'étonne Guignol. Facétieux, je réponds « Je suis simplement heureux de ma vie, et ce n'est pas un vulgaire 80/20 qui va y changer quoi que ce soit ! » La rumeur prétend que je me suis quand même mis une énorme timbale ce soir-là au Carpe Diem, l'une des boîtes de nuit du bord de mer... mais ça, ça ne vous regarde pas !

Las Vegas, 2022. Je suis dans l’œil du cyclone, emporté par le tourbillon. Je me suis lancé dans un projet cinglé qui menace de me à me dépasser : faire jour après jour le journal intime de mes WSOP sous formes de vidéos, les fameux “vlogs”. Le rythme de travail est absurde : je joue au poker de midi à minuit, et le soir il faut poser les voix sur les images tournées par Delphine, sélectionner les plans, les monter, exporter le produit fini. Tous les soirs ou presque, ce bazar nous tient éveillés jusqu’au milieu de la nuit.

Il faut dire que j’ai le bon état d’esprit pour me lancer dans des projets ambitieux : sur l’édition précédente des WSOP, j’avais joué deux tables finales, décroché une place de runner-up, et quitté Vegas avec plus de 200 000 dollars en banque. Problème : cette nouvelle édition, elle se passe mal. Aucun deeprun à mettre sous la dent de la caméra de Delphine. Des busts quotidiens. Frustration. On arrive à la fin de l’été : il ne me reste que quelques chances d’aller enfin chercher le bracelet. 

Et enfin, le vent semble finir par tourner. Et pas sur n’importe quel tournoi : le fameux “10K 6-max” chéri de tous les grinders qui se respectent, en particulier les Européens. Les deux premières journées sont un tour de montagnes russes incessant, avant qu’un flip gagné contre Sylvain Loosli ne me fasse vraiment décoller. Commence alors un énorme rush de cartes, que j’accompagne d’un poker ultra-agressif tout à fait adapté à ce type de tournoi. La bulle éclate : une nouvelle fois, je me retrouve dans le top 10, muni de 100 BBs. C’est à ce moment précis que le sol se met à trembler sous mes pieds.

Des centaines de personnes surgissent en courant, criant qu’un tireur est en train de descendre tout le monde dans le casino. Emporté par la foule hors de contrôle, je me retrouve dans les cuisines du centre de convention du Paris. Je grimpe pour me réfugier dans les faux plafonds, et me blesse en chutant de plusieurs mètres entre deux murs. J’ai perdu Delphine, elle aussi engloutie par la masse. Je la crois morte. Une heure plus tard, Alexandre Réard, lui aussi barricadé dans cette cuisine, parviendra à lui faire parvenir un SMS. Delphine va bien, en fait tout le monde va bien car tout ceci n’était qu’une fausse alerte, une panique de masse basée sur rien du tout. Incroyable.

Pierre Calamusa / Blog 28/06/2024
Dix minutes plus tard, nous sommes tous de retour dans la salle de tournoi. On se tombe dans les bras, choqués et incrédules. Heureusement, les organisateurs prennent la bonne décision : le tournoi reste en pause, nous on se repose, et rendez-vous est donné pour le lendemain.

La frayeur digérée, me voilà à une cinquantaine de places du million de dollars promis au vainqueur, et du bracelet bien sûr. Chose dingue : il reste encore quatre joueurs du Team W en course. Davidi par-ci, Adrian par-là. Et puis Romain, et enfin moi. On fait vivre un véritable enfer à nos adversaires. Bluffs bien sentis, value bets précis : on monte des jetons chacun de notre côté, et bientôt nous ne sommes plus que 24 en lice.

La grosse blinde vaut désormais 15 000, le joueur au bouton ouvre à 30 000, Pavel Plesuv défend sa SB, et moi je suis en BB avec… deux beaux Rois. Je squeeze pour 150 000 au total. Fold du bouton, mais en moins de dix secondes, Pavel prend sa décision : sur-relance à tapis, pour 700 000. Je paie plus vite que l’éclair ! Et face à son A10, je suis laaaaarge favori pour ériger un stack de 2 millions qui me ferait passer énorme chip-leader.

La croupière ne pouvait pas retourner un pire flop. QJ6, que des cœurs, Pavel a fait couleur, et je ne peux même pas compter sur le K car il lui donnerait la Quinte Flush Royale ! Je perds ce pot énormissimme, tombe à 15 BB : une heure plus tard, je suis éliminé en 20ᵉ place. Pavel, lui, ira chercher la seconde place, et un demi-million de dollars…

Un poil masochiste, j’ai par la suite revu quelques fois ce coup fatal capturé par la caméra de Delphine. À chaque visionnage, la facilité avec laquelle j’ai encaissé le coup dur me surprend ! Ça, ça me plait : je peux au moins être satisfait d’avoir réussi à garder le sourire dans l'instant. Car en toutes circonstances, même les moins funs, je veux transmettre des messages positifs. Du coup, petit conseil : si vous venez de prendre un gros bad-beat, posez-vous deux minutes sur mon vlog de l’époque (ci-dessus, la vidéo est calée pile au bon moment), ça vaut le coup d’œil !

Allez, un dernier bad beat pour la route. On revient en arrière : 2019, Prague et son magnifique tournoi European Poker Tour, il reste 20 joueurs, on rêve tous du million d’euros réservé pour le vainqueur. Ma table (télé) est belle comme pas permis, j’ai une fois et demie la moyenne : bordel, j’y crois. Surtout que deux crans à ma droite, il y a un joueur coréen qui en fout absolument partout : je le sens pas loin de craquer. Justement, le voilà qui ouvre à 50 000 au bouton. Je suis en BB, et il me sera difficile de demander de meilleures cartes : on m’a donné deux As.

Volontairement, j’opte pour un 3-bet tout petit, afin de le pousser à rester dans le coup avec ses mains les plus marginales. Il paie, et c’est un flop superbe qui tombe : 1083. Je c-bet 150 000, mon adversaire paie dans la seconde. La turn est une blank totale, un 4.

Le coup est décisif : je prends donc l’option agressive, un parpaing de 400 000, les deux-tiers du pot, et la moitié du stack adverse. Cette fois, il réfléchit… mais paie encore. Dans ma tête, je hurle : “PAS DE DIX, PAS DE CARREAU, je t’en, supplie !”. Voeu exaucé sur la rivière, un beau 8. Beau car cette doublette n’améliore que rarement la main du Coréen. Alors que dans le même temps, vu que tous mes tirages possibles ont manqué, il ne va pas se priver de bien me payer avec n’importe quelle paire.

Je le mets à tapis. Il paie tellement vite, avec un air tellement heureux, que je comprends immédiatement : j’ai perdu. Impossible que ma paire d’As soit bonne. Il retourne ses cartes : un 8 et un 7. La rivière lui a donné le brelan…

Pierre Calamusa / Blog 28/06/2024
Cette main m’aura longtemps hanté. Je me demande souvent ce qu’il serait advenu si la rivière avait été une brique. Perso, je pense qu’il aurait payé quand même… et que je serais devenu chip-leader à 20 joueurs restants d’un gros EPT à un million d’euros. Mais la vérité, c’est que je n’aurai jamais la réponse à cette question. La seule chose qui est certaine, c’est que tout, la chance et la malchance, se lisse et s’aplatit sur le long terme.

Finalement, ce blog est le reflet exact de celui consacré aux bad beats que j’ai moi-même infligé à d’autres au cours de ma carrière. Entendez par là que je ne me considère ni chanceux, ni malchanceux. Si l’on se réfère à la Loi des grands nombres, la chance a ceci d’incompréhensible qu’elle est à la fois omniprésente dans nos vies… sans pour autant véritablement exister !

J’espère que ces bad beat stories vous auront plu. Promis, j'attends dix ans avant de vous proposer un autre blog de ce type !

LeVietF0u


LeVietF0u

L'enfant terrible du Team Winamax a remporté les plus gros tournois W et fait souvent parler la poudre en live. Un talent ravageur, à la table comme sur les réseaux sociaux.

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