[Blog] Les Rois maudits
Par Tournois Live
dansAprès deux étés négatifs à Vegas, retrouver la confiance en terre américaine n’est jamais chose aisée. J’ai fait le choix cette année, tout comme l’an dernier, de ne jouer qu’une poignée de tournois aux World Series of Poker. L'idée directrice est de faire moins de volume pour me consacrer à plein temps à l’étude du jeu.
Comme à mon habitude, après quelques jours à Los Angeles pour rendre visite à ma grand-mère, je commence directement par le Main Event à 10 000 $. Curieusement, mon élimination dès la première main l’an passé me fait arriver avec une stratégie encore plus risquée. Puisque personne ne semble vouloir prendre de risque sur ce tournoi, et afin de les sortir de leur zone de confort, j'opte pour le choix fou de tout faire pour faire jouer à mes adversaires les plus gros pots possibles. Alors, accrochez-vous : la main qui suit est aussi spectaculaire qu'expéditive.
J’ai environ 60 000 de tapis aux blindes 300/500 et j'ouvre à 1 000 en premier de parole avec Roi-9 suité. Seul le bouton me paie. Le flop vient 8-8-8. Derrière, je 3-barrel all-in en méga overbet sur la rivière et je me fais payer en un quart de seconde par carré. Malgré l’évidente déception d'être éliminé si tôt du plus beau tournoi du monde, j'ai pourtant l’intime conviction d'être sur la bonne voie.
Ça recommence…
Une semaine plus tard, je reçois un message de Stéphane [Matheu] me demandant si je compte jouer le "10K 6-Max", car les équipes de Dans la Tête d’un Pro cherchent un joueur à filmer sur ce magnifique tournoi, l'un des plus beaux de chaque été. Ni une ni deux, je saute sur l’occasion. J’ai tellement bossé techniquement cette année que j’ai envie de montrer de quel bois je me chauffe contre les meilleurs joueurs du monde !
Mon téléphone vibre, c’est Stéphane. « C'est toi qui commences pour DLTDP sur le 10K, lets go ! » Dès lors, c'est toute une machine qui se met en marche. Paco, Junior et Régis débarquent à la villa, filment des plans en extérieur et sortent le drone. C’est toujours assez impressionnant et un peu stressant d'avoir une telle équipe pour moi tout seul.
Ça y est, il est 13 heures. C'est l’heure de partir jouer l'un des tournois les plus prestigieux de la planète poker. Je m’installe à la table, et je gagne tous les pots pendant vingt minutes. Des 60 000 jetons de départ, je passe à 70 000 jetons aux blindes 100/200. Un départ rêvé. Quand soudain...
Le joueur en premier de parole relance à 500 et je découvre deux Rois juste après. Je surrelance à 1 700 et là, catastrophe : la big blinde, une femme asiatique d’une trentaine d’années me sur-surrelance à 6 000. Le premier joueur s’écarte et je paie simplement. Flop 9-6-2. Mise de continuation classique de mon adversaire, je call. Turn : 7. Second barrel adverse mi-pot. Je paie encore. La river est un anecdotique 2 et là, se produit un moment presque mystique, comme si un moment que vous redoutiez se reproduisait sous vos yeux impuissants : comme lors du Main Event l’an dernier, mon adversaire me met à tapis. Même buy-in, même main, même type de board, même profondeur de tapis. Tout tourne dans ma tête, j’ai envie de snap fold. J’ai peur. Si je call et qu’elle me montre deux As ? Ce sera le double bust à 350 blindes deep avec une simple paire, qui va encore faire parler toute la France du poker...
Sous haute tension
J’ai la certitude technique absolue que cette paire de Rois est un call. Pourtant, ces fantômes de Vegas qui me hantent depuis trois ans planent autour de moi et me terrorisent. Je jette un regard à toutes les caméras autour de moi. Le pot est gigantesque et la tension est électrique. Que je paie ou que je fold, si je me trompe, cette main sera commentée, scrutée, analysée, critiquée. Je me raccroche alors aux deux choses qui me paraissent incontestables dans ces moments : la théorie et les tells physiques.
En théorie, ma main est bien trop forte pour passer. Dans la pratique, mon adversaire a l’air dans le doute lui aussi. Je repense aux conseils de Davidi durant toutes ces années. Prendre un maximum de temps pour analyser le langage corporel de son adversaire. La joueuse en face de moi n'a pas du tout l'air à l'aise. Elle aussi a peur… je crois.
Cela fait près de dix minutes que je suis dans le tank. Le time est demandé. Un floor arrive. Il me reste trente secondes pour prendre une décision. Je tente le tout pour le tout.
- Tu me montres si je passe ?
- OK, cette fois, je te montrerai.
Dix secondes restantes. 5, 4, 3… Cette fois, c'est sûr : elle a peur. Elle bluffe ! Je paye à la dernière seconde.
"Good call, I have nothing", dit-elle dépitée en retournant… As-Dame, pour une simple hauteur As !
Je retourne avec fierté, mais aussi humilité, ma paire de Rois. Elle m’a mis dans un spot hyper compliqué, chapeau à elle. Mais cette fois, c'est moi qui ai remporté le plus gros pot du tournoi, qui me propulse chipleader !
Je ne spoilerai pas le reste de ce 10K, mais ce que je peux vous dire, c'est que je suis allé loin, très loin. De ce hero call réussi va découler une longue série d’épisodes de Dans la Tête d'un Pro qui pourraient bien rester dans les annales, avec comme rivaux des joueurs que vous connaissez peut-être comme Viktor "Isildur1" Blom, Stephen Chidwick, Adrián Mateos et j’en passe. Surtout, cette simple main a été pour moi d’une importance capitale. Elle m’a fait oublier cette paire de Rois sur le Main Event qui m’avait tant faite souffrir. Je suis bien de retour au plus haut niveau et j’ai hâte de vous faire découvrir tout ça dans quelques mois !
Les pages à suivre