[Blog] Les 3 mains qui ont lancé ma carrière
Par Life Style
dansAlors, au moment de faire le bilan, et n’ayant jamais été du bon côté du lancer de pièce, j’ai bien envie de m'apitoyer sur mon sort et montrer au monde à quel point cette année fut rude pour moi. Mais, Pierre, es-tu vraiment malchanceux ? La vérité... c’est que je suis tout l’inverse ! Comme la plupart des joueurs professionnels aujourd’hui, je suis un véritable chanceux. Vous le savez autant que moi : sans coups de pouces du destin aux débuts de nos carrières, nous serions peu à être là où nous sommes aujourd’hui. Alors, au moment où il serait facile de blâmer cette cruelle variance, je vais profiter de ce blog pour me remémorer les moments où elle me fut favorable. Notamment trois mains : celles qui ont tout bonnement lancé ma carrière.
Une horreur sur le 10k EFOP
Un mois de janvier 2012, alors que cela fait un peu moins de six mois que je suis revenu broke et endetté de Malaga, je me retrouve en train de jouer un tournoi à 10 000 € l'entrée à l'Aviation Club de France. Il faut dire que je viens de connaître une période assez incroyable. Dos au mur en juillet 2011, j’ai grindé sans relâche les petites limites et profité d’une victoire sur un tournoi shootout des Winamax Series pour me remettre dans le droit chemin. Au sortir de ces six mois de grind, me voilà enfin à la tête d’une bankroll confortable de quelques milliers d’euros. Dès lors, des étoiles plein les yeux, et pensant être le héros d’un roman de Balzac, j’en profite pour tenter ma chance à Paris. Résultat des courses : une win à 15 000 € en cash game sur des blindes 5/5, et me voilà donc en shot sur ce tournoi au buy-in de 10 000 €.
Sans aucune ligne Hendon Mob à mon actif, je me retrouve à la table de pointures de l'époque comme Shannon Shor, Basil Yaiche, et un grinder franco-allemand du nom de Sébastian Winkler. Le tournoi se passe bien, je monte pas mal de jetons, lorsqu’arrive un coup qui s'apprête à changer à jamais ma carrière. Attention, mouillez-vous la nuque : on parle ici d’un poker de cow-boy comme il était pratiqué il y a dix ans à base de 5-bet shove avec As-3 dépareillé.
Alors au cut-off, Basou décide de relancer. Je paie au bouton avec Roi-10 dépareillé et Winkiac ne se fait pas prier pour squeeze bien cher en petite blinde. Basou se couche et je décide évidemment de snap call. Je ne crois absolument pas mon adversaire, et folder cette main 200 blindes deep, en position, était hors de question à cette belle époque. Le flop vient Dame-3-2 rainbow. Mon adversaire mise alors la moitié du pot. Je ne saurais vous dire pourquoi, mais en 2012, float le board me paraissait évident tant les joueurs ne se croyaient jamais. La turn vient un As. Mon adversaire en profite pour miser les trois quarts du pot. “Il me prend pour un jambon ou quoi ? Il veut me faire croire qu’il a touché cet As mais je suis sûr qu’il n’a rien”. Telles furent mes pensées au turn en payant gaiement le parpaing adverse.
Je me souviendrai toute ma vie du moment où le Valet de trèfle s’est écrasé sur la table à la river. Comme dans un blockbuster, l’action s’est déroulée comme au ralenti. Winkiac mise la totalité du pot. Je souris et envoie mon tapis au milieu de la table. Il paye, et je ne peux m’empêcher de rire intérieurement lorsqu’il retourne une paire de Dames qui avait fait brelan au flop. Une quinte runner-runner venue de Mars qui le fait lever de la table. Il s’est mis à parler aux oiseaux pendant dix bonnes minutes, tout en contemplant son misérable stack de cinq blindes. Aussi fou que cela puisse paraître, il a ensuite effectué une remontada tout droit sortie de l’espace, et a fini par… gagner le tournoi ! Pour ma part, j’ai profité de mon tapis mal acquis pour finir à la troisième place pour 70 000 € après un deal avec ce pauvre diable de Winkiac et Juha Helppi.
Un 6 béni des dieux
Je me suis longtemps demandé à quel point la variance pouvait impacter la vie d’un joueur. Et lorsque je réfléchis à cela, je ne peux m’empêcher de penser à un certain Guillaume Diaz. Nous venons tous les deux de la même ville (Grenoble) et avons un background online assez similaire. Ce même background qui nous a tous deux permis de faire notre transition vers les tournois live à l’heure de notre sponsoring avec Winamax. Rapidement, nous croisons le fer lors du WPO Dublin, l’un de mes premiers tournois sous les couleurs du Team W.
Arrivé en table finale, je commence par doubler mon stack après un énorme set up paire de Rois contre paire de Valets remporté contre Guillaume. Puis vient cette main cruciale pour nos destins de jeunes joueurs sponsorisés. Au bouton, Guillaume relance. Je décide de le 3-bet avec une paire de 6 en petite blinde. La parole revient à Guillaume qui prend l’option de 4-bet. Dès lors, j’envoie mon tapis au milieu de la table et il me call rapidement avec une paire de Dames. Le pot est énorme et doit représenter deux tiers des jetons de cette finale. Et comme vous pouvez l’imaginer, un 6 s’écrase sur la table dès le flop et je gagne ce coup. Un 6 ô combien important qui me permettra par la suite de remporter le tournoi et de m’établir comme un joueur clé du team Winamax. Quel jeu complètement fou…
Les Rois au chevet du prince
Si vous me demandez quelle est ma carte favorite, je vous répondrai sans hésiter le Roi. Pourquoi ? Car il a volé à mon secours à plusieurs occasions. Comme cette fois où j'étais tout près du précipice lors de la finale du Main Event à l'EPT Monte Carlo en 2016 après un coup à tapis post-flop avec une paire de Rois contre l'As-6 dépareillé de mon adversaire, Jan Bendik. Mais le Roi que je chéris le plus est venu me rendre visite lors de ma seconde place sur le 4 Million Event des Winamax Series. Alors en demi-finale, je décide de relancer avec As-Roi en premier de parole. La petite blinde part alors à tapis pour sept blindes, et la grosse blinde envoie également sa vingtaine de blindes restante au milieu. Je call en sachant qu’il me restera vingt blindes pour me refaire en cas de perte. Malheureusement, je fais face à un scénario catastrophique. Le short stack possède As-6 dépareillé et la big blind… une paire d’As ! Même pas peur : un Roi fait son apparition au flop, puis sur le turn : je m’en sors miraculeusement. Dès lors, mon tapis gonfle abondamment, mais je finis par perdre en heads-up de ce tournoi ô combien épique pour un gain de 291 632 €.
Finalement, au cours de ces douze derniers mois, j’ai souvent eu l’envie de crier tant les vents me semblaient systématiquement défavorables. Malgré deux dernières années de WSOP pour le moins compliquées, je n’ai jamais cessé de continuer à travailler et de réaliser à quel point j’ai de la chance d’être joueur de poker professionnel. S’apitoyer sur son sort n’est en aucun cas la chose à faire. Quant à la chance, ou la malchance, je réalise aujourd’hui que cela s’équilibre sur le long terme. Alors, ne soyez pas étonné de me voir lire ces quelques lignes si je me prends un énorme bad beat à votre table, histoire de ne pas oublier qu’après la pluie viendra le beau temps.
Car, finalement, le poker est une véritable école de la vie. “Je n’ai jamais cessé d’être heureux, disait Jean d'Ormesson. Merci pour les roses, merci pour les épines. La vie n'est pas une fête perpétuelle, c'est une vallée de larmes, mais c'est aussi une vallée de roses. Et si vous parlez des larmes, il ne faut pas oublier les roses. Et si vous parlez des roses, il ne faut pas oublier les larmes."