[Blog] L'ego, un ami qui nous veut du mal
Par Général
dansDéjà, que signifie exactement être le meilleur ? Parle-t-on de tournois ou de cash-game ? S’agit-il de celui qui maîtrise le mieux le jeu GTO ou au contraire de celui qui exploite le mieux ses adversaires ? À moins peut-être qu’on se place simplement du côté des gains purs, ou du plus gros one-time ? De mon point de vue, toutes ces nuances rendent la question floue et prouvent qu’elle n’est pas forcément pertinente, car pas si cruciale dans le fond. C’est sur cette idée que je voudrais m'attarder.
J’ai plongé de plain-pied dans le poker principalement à cause de son aspect compétitif. Lorsque j’ai mis un terme à ma carrière sportive (qui fût, soit dit en passant, largement moins brillante que celle dont je rêvais en regardant les Jeux Olympiques de Barcelone à la télévision), je me suis retrouvé orphelin de l’adrénaline que procure une compétition importante et l’entraînement qui l’entoure.
En effet, je suis véritablement habité par l’envie de gagner, et j’exècre donc la défaite. Je fais partie de cette catégorie de joueurs pour qui l’idée de perdre la moindre partie de petits chevaux ou de ping-pong fait se hérisser les poils de rage et de frustration. Aussi loin que mes souvenirs remontent, je n’ai toujours joué que dans le seul et unique but de gagner. Les murs des maisons de mon enfance se souviennent d’ailleurs avoir vu les cartes et plateaux de jeux voler quand ce n’était pas le cas !
Pourtant, à force d’introspection et avec du recul, ces valeurs de victoire, de domination ou de compétition m’apparaissent comme beaucoup d’énergie gaspillée. J’ai le sentiment que dans nos sociétés, certaines valeurs gagneraient à être plus mises en avant : le respect, l’entraide, la coopération et le vivre ensemble, plutôt que l’affrontement et la compétition. Ce questionnement réveille le vieux débat insoluble en psychologie de l’opposition entre l’inné et l’acquis : avons-nous naturellement cet esprit compétitif en nous dès la naissance, ou bien est-ce la société qui nous l'inculque en valorisant cette notion et en nous encourageant sans cesse à nous comporter ainsi ?Vous me rétorquerez que j’exprime la rancœur inconsciente d’une carrière sportive pas à la hauteur de mes attentes. Vous aurez sans doute raison, au moins en partie, mais je pense que la réflexion dont je vous fais part dépasse la subjectivité de ma simple perception. La valorisation à outrance de la compétition fait ressortir beaucoup de traits négatifs de l’espèce humaine : la triche, la malice ou la colère, entre autres.
En ce sens réside une dualité qui illustre la complexité de l’être humain ainsi que mes propres contradictions : d’un côté, je ne peux pas m’empêcher de m’investir dans des activités compétitives, de l’autre, je continue de penser que d’autres activités plus nobles pourraient contribuer bien plus largement à élever la condition humaine.
C’est un des points sur lesquels je veux insister. Pour régler ce tiraillement personnel, j’ai choisi de déverser mon « besoin » de compétition dans des activités anodines. Le mot est lâché : « anodin ». Je suis absolument convaincu du caractère futile du poker. Si l’on prend un peu de recul, on réalise que ce jeu revient à faire mumuse avec des cartes et des jetons, rien de plus. On ne va pas changer le monde avec un check-raise, car, comme dirait Joe Dassin, le monde « a trop tourné sans nous ». Cette constatation n’est pas si évidente lorsque l'on baigne quotidiennement dans ce microcosme somme toute assez calfeutré.
Allez, je vous offre un moment « Cool story bro ». Lorsque je faisais mes études de Sciences Politiques, j’ai eu la chance d’être l’assistant du Professeur Sami Aoun. Issu d’une famille de notables au Liban, il n’est autre que le neveu de l’actuel président Michel Aoun. Réfugié au Canada pour ne pas laisser sa peau au Proche-Orient, il est maintenant considéré comme la référence du Québec en matière de géopolitique au Moyen-Orient. Malgré son intelligence, sa culture, son polyglottisme et son érudition hors du commun, le Professeur Aoun avait une réelle considération pour moi et me parlait d’égal à égal. Il agissait de même avec tout son entourage, depuis l’adjointe administrative jusqu'au doyen de la faculté. Cette rencontre fut probablement une des plus marquantes de ma vie et m’a profondément fait réflechir au concept d'humilité. Si je devais en retenir un message, nul doute que ce serait quelque chose du genre : « Allez petit, arrête tout de suite de te la jouer, redescends d’un étage et va faire tes devoirs, il te reste pas mal de croûtes à manger dans la vie. »L’ego peut-être votre pire ennemi, et c’est particulièrement vrai au poker. Je parle en connaissance de cause : il m’a souvent joué de vilains tours. Pendant une partie, d'une part, en m'éloignant de mon jeu optimal et en me faisant prendre de mauvaises décisions, mais aussi en dehors, en influençant négativement mon équilibre mental. Je peux affirmer sans prendre trop de risques que tout le monde connaît un ami qui a du mal à gérer les émotions que procure le jeu, justement car il a tendance à prendre les choses trop à cœur. Le fait de s’en rendre compte et de l’accepter est un premier pas vers l’amélioration.
En conclusion, je pense qu’il est important de garder en tête que le poker doit rester un divertissement et une compétition saine dont nous devons nous servir pour notre épanouissement et notre développement personnel. Ce jeu si simple à apprendre et pourtant si complexe et passionnant permet de réunir des gens de tous horizons et de s’évader l’espace de quelques heures autour d’une passion commune. C’est un vecteur social extraordinaire. Cela pourrait d’ailleurs nous permettre de jeter une bonne fois pour toute à la poubelle cette image d’Epinal d’une arrière-salle de saloon enfumée, où de braves gens se font dépouiller par des bandits à la gâchette facile. Une vision obsolète et jaunie par le temps qui reste malgré tout encore trop présente dans l’imaginaire du grand public.