[Blog] La tête dans les étoiles (suite et fin)
dansRésumé du chapitre précédent : arrivé à Monaco avec autant d'espoirs que d'appréhensions, Pierre connait un départ canon sur le Main Event de la Grande Finale de l'EPT Monte Carlo. Grâce à un savant mélange de good run, de bluffs bien sentis et d'inspirations géniales, il attaque la troisième journée du tournoi (celle de l'entrée dans les places payées) en position de chipleader. Comment l'histoire va t-elle se terminer ?
Day 3 : le plan est clair
Durant tout le tournoi je n'ai jamais changé mon rituel. Réveil vers 9h30, petit déj’ copieux, puis ballade dans Monaco. J'arrive dans la Salle des Étoiles vers onze heures. Brief d'avant-coup d'envoi avec Stéphane. J'en profite pour demander des conseils à Davidi, grand habitué des deep runs sur l'EPT. La stratégie est simple : profiter de la bulle pour agresser les tapis moyens, puis ralentir la cadence une fois dans les places payées, lorsque les joueurs libérés de la pression de l'argent auront moins peur. Je tire une bonne table, où je ne reconnais qu'Erwann Pécheux, Jérémy Routier, et John Gale, un vieux de la vieille. Il hèle un serveur et paie une tournée à toute la table. La classe à l'ancienne, un gentleman old school comme on n'en fait plus. La table est facile, je passe un premier 4-bet contre Jérémy muni de As-Roi, puis vole une multitude de petits pots. Les joueurs sautent comme du pop-corn et la bulle se rapproche à vitesse grand V. Un scandi 3-bet puis 5-bet shove 10-9 dépareillés contre Jérémy Routier qui a les As. Il tombe à quinze blindes et tank trois minutes préflop toutes les mains. Je crois devenir fou et je le time dès que c'est son tour de jouer. Heureusement pour lui, la bulle éclate très vite, et il finit dans l'argent... avec deux antes. Je me lâche, j'ai 10,000 euros assurés ! Je commande un café à 8 euros et un massage à 2 euros la minute. Libéré, délivré. Faire l'argent dans ce tournoi était tellement important après mes pertes hivernales à six chiffres.
J'ai 700,000 jetons, plus de 200 blindes et j'applique le plan que je me suis fixé en début de journée, à savoir resserrer mon jeu préflop une fois ITM. Je fold pendant presque un niveau entier. Le seul coup notable : Je suis au bouton avec AJ et relance à 7,000. Jérémy Routier me 3-bet à 20,000 avec 60,000 derrière. Je pousse mon tapis et je me fais snap-call par As-Roi. Trois piques plus tard, je tutoie la barre du million de jetons. Comme le dit si bien Patrick, je suis dans un cycle de chance : va falloir en profiter un max !
Ma table est une des premières à casser. Je déchatte mon nouveau siège, coincé entre de bons pros de live et des grinders online. J'essaie d'imprimer un rythme mais toutes mes tentatives de vol se font instantanément contrer par des 3-bets. Je resserre un max et je passe près de deux niveaux sans jouer un coup. Je fais office de paillasson à cette nouvelle table et les joueurs ne se font pas prier pour me marcher dessus. Mon stack fond à petit feu, érodé par l'implacable inflation des antes et des blindes. On entame le dernier niveau de la journée et mon tapis se situe aux environs de 700,000.
UTG ouvre à 12,000, payé par un jeune joueur online très agressif. je complète AQ de petite blinde. Le flop vient As-9-10 avec deux cœurs. UTG check et le joueur en MP mise 20,000. Je paie, le relanceur initial s’efface. Turn 5 je check/call une nouvelle mise à hauteur du pot. La rivière 6 est checkée et mon adversaire révèle 78 pour une quinte touchée river. Je ne jouerai plus un coup ce jour-là. Je finis le Day à... 580,200 jetons, moins qu'au début de la journée.
Day 4 : sans pression, mais avec ambition
Curieusement, je suis beaucoup moins anxieux au moment de débuter cette quatrième journée. Le fait d'être retombé en milieu de peloton a quelque peu fait retomber la pression. Je me retrouve à la table de Randy "Nanonoko" Lew et João Vieira. João est extrêmement agressif et prend absolument tous les spots de relance. Je n'ai que des poubelles et je fonds durant les deux premiers niveaux. Je ne gagnerai qu'un seul coup, avec une paire de 7 qui se transforme en quinte river contre Nanonoko.
Je me retrouve assez rapidement short-stack, pour la première fois depuis le début du tournoi. C'est là que m'a vraiment servi le travail fait en amont avec le Team sur la patience et la compréhension du rythme du poker live. Là où autrefois j'aurais fait preuve de nervosité et d'impatience, ici je suis étonnamment serein. J'attends simplement que se présente le bon spot, sans chercher à forcer mon destin. Déplacé à la table de Vanessa Selbst, j'effectue plusieurs resteals light sur ses ouvertures pour me maintenir à flot, avant de trouver un double up salvateur avec les Rois contre As-8.
Le vrai tournant intervient une orbite plus tard. Vanessa limp de small blind et je check mon option avec 93. Le flop vient 7-8-Valet avec un cœur. Vanessa mise une blinde, je float. Turn : un 4 qui m'apporte un flush draw en plus de ma ventrale. Elle mise cher cette fois, je paie à nouveau. La rivière apporte un 8, je loupe totalement. Selbst check rapidement. Ici je ne pense pas avoir d'autre solution que de bluffer ma hauteur 9. J'ai beaucoup de combinaisons incluant un 8 ici et finalement assez peu de combos de bluff. Je pousse mes derniers jetons en priant le ciel de ne pas me faire snapcall. Ouf, elle réfléchit et passe assez rapidement, disant avoir Valet-7. Je lui montre un 3 de cœur pour le show et pour la gloire. Elle est en tilt de malade, quel kiff !
Mon image en a hélas pris un coup et ma marge de manœuvre se réduit. Je joue les derniers niveaux en mode serrure. Je passe mon premier Day 4 EPT, avec moins de jetons que ce que j'avais au départ du Jour 2. Il reste 28 joueurs sur les 1098 au départ, et moi il me reste moins de 20 blindes pour continuer à rêver du titre et au million d'euros promis au vainqueur. Une chance qui peut ne se produire qu'une seule fois dans une carrière et qu'il faudra saisir. Demain, aucune erreur ne sera tolérée.
Day 5
Au moment d’entamer les demi-finales, je suis étonnamment calme. Deux pensées me traversent l’esprit : je n’ai rien à perdre, et je dois profiter de chaque moment. Une philosophie immédiatement récompensée par un colis Fedex tout droit arrivé des états-unis. Je limp AA depuis la petite blinde et mise flop, turn et rivière sur un board Dame-8-4-As-10. Mon adversaire a cru que j’étais un faible et a envoyé son tapis rivière avec 8-7. Euh non, désolé, j’ai top set mais merci du cadeau ! Je double à 1 million, et voilà la dernière main avant la première pause du Day 5. Un Russe min-raise et je défends ma grosse blinde avec 64. Le flop tombe A64 et je check/raise son continuation bet. Turn : un 5. Je mise 60% du pot, soit 300,000 jetons. Il fait tapis, je paie aussitôt, il a As-Roi et mes deux paires tiennent.
C’est la pause et on parle stratégie avec Steph. Je lui raconte qu’Adrien Allain prend tous les spots et que ça commence à me tilter. La partie reprend, il relance UTG, y’en a marre ! Je le 3-bet avec 98 et il me 4-bet aussitôt ! Je pousse mes 40BB au milieu en priant pour qu’il n’ait pas une premium. Il passe : ouf ! Tout se passe bien jusqu’à ce que le superviseur nous prennent à part et accuse Adrien et moi de collusion. Je suis en tilt de malade, on s’est envoyés des énormes sacoches toute la journée ! C’est la guerre entre nous, on joue à qui piègera l’autre le mieux, on s’envoie de tels parpaings que cela paraît... louche ! C’est beau.
Day 6 : la finale
Je dors comme un loir et me réveille en pleine forme. Mes potes de Grenoble sont là : ils ont pris le train à cinq heures du mat’ pour venir me rail ! Tout le Team est installé dans les gradins, même Patrick. Je n’ai pas de cartes de jouables en début de partie, et suis soulagé de la sortie du joueur Israélien. Je suis maintenant assuré de gagner au moins 233,800 euros : je vais pouvoir prendre plus de risques. Je fais tapis au bouton avec QJ, Jan Bendik me snap de BB avec As-Roi. Les Dieux du poker sont facétieux : les cinq cartes du board forment une quinte, le pot est partagé !Je traîne mes 16 blindes pendant un niveau entier avant de trouver deux beaux, deux magnifiques Rois au cut-off. J’opte pour un min-raise. C’est payé par les deux blindes. Flop Valet-6-6. Parfait (jinx en approche !) Je c-bet et seul Bendik me paie. Il va ensuite donk-bet le turn, je fais tapis, il paie dans l’instant. Il retourne… As-6 pour le brelan. C’est un 50/50 : soit le Roi vient me sauver, soit il ne vient pas me sauver. J’espère que le flip va passer ! Rivière : bingo, le Roi de pique ! Je remonte à 30 blindes !
Mais on dirait que j’ai épuisé mon réservoir de chance : je ne touche plus que des merguez et autres chipolatas et me fais littéralement massacrer par les blindes et antes. Je finis par faire tapis pour 21BB avec un As et un 4. Adrien trouve As-Valet de grosse blinde. Cette fois, je le sens pas trop bien, et le Valet sur le flop ne constituera pas spécialement une bonne nouvelle. Je suis éliminé en cinquième position. Plus de 230,000 euros de prix. Bien sûr, je suis déçu de ne pas avoir été un peu plus loin, mais la présence de mes amis et de tout le Team Winamax me console rapidement. D’abord parce qu’après six jours de bataille, je sais que je vais enfin pouvoir aller boire des coups entourés de personnes qui me sont chères. Et surtout parce que je sais que je n’ai jamais été seul dans cette aventure.
C’est pour ça que je joue au poker : pour partager des émotions avec les gens que j’aime ! Crier avec tout le Team et mes amis à l’apparition du Roi sur la rivière, taper dans la main de Bruel quand un 3-bet passe, écouter Steph et Michel qui me supplient de ne pas être le « Viet trop fou », demander à Alex, Sylvain, Davidi, Gaëlle et Guillaume s’ils ont des infos sur les joueurs, recevoir un SMS de Kool Shen « défonce les, frérot ! », rire en ouvrant un mail de ma mère « Vas y Pierre, j’espère que tes adversaires seront gentils avec toi sinon je vais venir te défendre ! », finir ivre sur la plage de Monaco après une soirée démentielle, regarder le soleil se lever avec mes meilleurs amis…
C’est quand même fantastique, une vie de joueur !