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[Blog] Jeu optimal contre jeu exploitable

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Depuis que je consacre pleinement mon temps au poker de tournoi au lieu du cash game, j'entends souvent autour de moi la phrase suivante: "Ce n'est pas grave si je joue de manière exploitable dans ce spot là. C'est un tournoi et il y a très peu de chances que je rejoue une situation similaire contre le même joueur". Même si elle contient une part de vérité, ce genre de déclaration m'a toujours hérissé le poil. Il est temps de mettre les choses au clair.

Rappels de base

Jeu optimal : On définit le jeu optimal par l'application d'une stratégie qui, par nature, se veut supérieure à toutes les autres. Aucune autre stratégie ne peut être gagnante contre la stratégie GTO (Game Theory optimal), qui consiste à jouer à l'équilibre dans toutes les situations, avec le bon ratio de value bets et de bluffs. Elle est inexploitable. Si deux joueurs jouent l'un contre l'autre optimalement, ils atteignent ce que l’on appelle un "équilibre de Nash," où aucun des deux n'a intérêt à dévier de cette stratégie optimale.

L'ensemble des décisions possibles en No-Limit Holdem étant tellement importantes (en fonction des différents flops/turn/river, et surtout de tous les sizings possibles), qu'il n'est pas possible aujourd'hui de résoudre complètement le jeu, c’est-à-dire de jouer toujours de manière inexploitable. Et même si cela était possible, la solution serait tellement complexe en termes de données qu'aucun humain ne pourrait l'appliquer. L'idée est donc d'avoir une bonne compréhension de cette stratégie et d'en appliquer une approximation.

Jeu exploitable : On joue de manière exploitante (et donc exploitable) car on suppose que nos adversaires ne jouent pas de façon optimale, et que nous pouvons dévier du jeu optimal pour avoir une espérance de gain (EV) plus importante. On cherche à exploiter les tendances adverses, par exemple en bluffant moins que ce que l’on devrait contre une grosse calling station, ou en bluffant énormément de mains contre un joueur identifié comme faible.

Pourquoi le jeu optimal est supérieur au jeu exploitable

Lorsqu'on décide de jouer une stratégie exploitable, nos adversaires peuvent très vite s’en rendre compte, et en profiter pour nous exploiter. Exemple : en ouvrant 100% de nos boutons sur la grosse blinde d'un joueur amateur, un bon joueur en SB peut en profiter et 3-bet énormément de mains.

Plus généralement, on décide de prendre une décision exploitable (comme folder le haut de notre range sur la rivière) en se basant sur des suppositions sur notre adversaire. On voit donc vite la limite de ce type de stratégie. Si nos suppositions ne sont pas assez fiables, on se retrouve à faire des erreurs qui peuvent nous coûter cher en EV.

Si vous n'êtes pas sûr de vos hypothèses pour prendre une décision marginale, par exemple sur un hero-call, alors essayez toujours de vous baser sur la théorie pour votre décision. Cela vous garantira la meilleure EV. Si au contraire vous êtes sûrs de vous, alors il faut évidemment dévier et jouer exploitant. Un exemple simple me revient en tête.

Table Finale du Super High-Roller à Barcelone l'an dernier. Nous sommes à six joueurs restants, et l'Argentin Ivan Luca relance en premier de parole sur ma grosse blinde. J'ai environ 13 blindes et pour avoir beaucoup joué avec lui, je sais qu'il relance énormément de mains UTG, qui plus est sur la BB des shorts stacks. J'ai Valet-8 suités et la théorie voudrait alors de juste payer sa relance. Mais j'évalue que faire tapis est meilleur contre lui - j'exploite sa tendance - car il va très souvent passer et que mon équité n'est pas trop mauvaise contre sa range si je suis payé. Malheureusement il a As-Roi, mais je réussis à gagner le coup !

Quelques orbites plus tard, une situation similaire se représente. Je décide de juste défendre Roi-Dame suités cette fois-ci, et fait un bon call à la river pour gagner avec hauteur Roi. Il avait ouvert UTG avec Dame-7 dépareillés, ce qui confirme que mon read était bon.

Si vous avez regardé les dernières Winamax Live Sessions, vous vous souvenez sans doute de cette main jouée entre Alexandre Luneau et Davidi Kitai. D'un côté, Alex est l'exemple parfait d'un joueur cherchant à jouer "optimal," qui essaie de jouer très proche du jeu GTO, alors que Davidi est à l'opposé, avec un jeu très exploitant, se basant beaucoup son expérience du live et des tells pour prendre certaines décisions.

Dans la main en question, Davidi se retrouve à la river avec un bluff catcher (une main qui ne bat que des bluffs), face au gros overbet à tapis d'Alex. Cette mise polarise énormément la main de ce dernier entre des monstres et des tirages ratés. Davidi essaie donc logiquement de réfléchir aux bluffs possibles, mais aussi à d'autres éléments. Aurait-t-il toujours envoyé un deuxième barrel au turn avec ses overpaires ? Que penser de ses sizings ? Est-il en fait capable de dépolariser sa range sur cet overbet ?

Ce qui est amusant c'est que Davidi dit lui-même à voix haute: "Je sens que quoi je fasse, ce sera la mauvaise décision !" En effet, appliquer la théorie ici voudrait qu'il paie même avec une main qui ne bat que des bluffs. De son côté, Alex doit avoir le bon ratio entre bluff et value bet pour que le call n'ait jamais une EV positive. Davidi ne doit pour autant pas jeter tous ses bluff catchers, car sinon il serait trop exploitable. Il doit donc payer suffisamment de combos par rapport aux cotes du pot. C'est ce qu'on appelle la "fréquence de défense minimum."

Sans rentrer dans trop de détails mathématiques, à la river, Alex mise 3 510 dans un pot de 1 380. Davidi doit payer 3 510 pour gagner 4 890, soit une cote d'environ 1.39 contre 1. Pour être profitable, son call doit donc être bon au moins 42% du temps (1/2.39). Ce qui nous donne également la fréquence de bluff optimale d'Alex : 42%.

La clé ici, c'est donc de comprendre qu'Alex doit bluffer la majorité de ses tirages ratés s'il veut utiliser un sizing aussi gros en value. Davidi ne peut pas deviner la range exact d'Alex dans ce spot, mais en sachant qu'il a une stratégie GTO, sa meilleure réponse possible est de jouer lui aussi optimal. Sauf évidemment s'il voit un tell fiable, auquel cas il pourra alors décider de payer avec n'importe quel bluff catcher. Là où on voit à quel point la stratégie GTO est supérieure, c'est qu'on n'a pas à se soucier d'éléments de metagame, de levelling, etc. On sait que, sur le long terme, notre stratégie ne peut pas être battue.

Autre exemple : une main disputée entre Rens Feenstra et Nial Farrell, deux joueurs réguliers du circuit EPT. Les deux sont alors assez profonds, et Farrell ouvre préflop avant de payer le 3-bet de Feenstra au bouton avec 98. Il check/call ensuite le flop avant de tourner sa main en bluff en plaçant un check/raise au turn puis en misant sur la river. Feenstra finit par hero-fold avec le top de sa range, alors qu'il bloque la couleur max et des combos de Roi-Dame.

Bien entendu, il est facile de comprendre le raisonnement de Feenstra, qui doit ressembler à cela : "Je représente souvent un roi et j'ai beaucoup de combinaisons As-Roi dans ma range. Mon adversaire ne devrait logiquement pas essayer de me faire passer une main aussi forte, donc je me couche." C'est typiquement avec ce genre de suppositions que vous vous faites exploiter ! Beaucoup de joueurs réguliers de tournois ont d'ailleurs cette fâcheuse tendance à vouloir faire des gros hero-folds.

En conclusion, lorsque vous jouez contre de bons joueurs, et que vous n'avez aucune idée de leurs tendances ou de leur stratégie, vous aurez toujours intérêt à essayer de jouer optimal. Ensuite, dès que vous voyez des showdowns, vous pouvez vous adapter et jouer plus exploitant/exploitable dans certains spots. Mais inversement, si par exemple vous bluffez une main que vous n'êtes théoriquement pas censés bluffer à la river, vos adversaires pourront le voir et adapter leur stratégie.

Contre des joueurs plus faibles, il est évident que votre EV sera bien meilleure en déviant de la stratégie optimale. Toutes les informations que vous pouvez obtenir à table pour la maximiser sont donc précieuses, soyez attentifs !


Loosli

En 2013, Sylvain est rentré dans l’histoire du poker tricolore en accrochant la 4e place du Main Event des championnats du monde. Le début d'un parcours d'exception au sein du Team Winamax.

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