[Blog] Comment j'ai bullé Secret Story
Par Général Life Style
dansNous sommes le 14 juin 2017. Je me prépare tranquillement à vivre l’été classique d’un joueur de poker pro : les World Series of Poker ont commencé depuis deux semaines à Las Vegas, elles n’attendent plus que moi. Ce rendez-vous incontournable va clôturer ma deuxième saison au sein du Team Winamax, après quoi je partirai en vacances dans le Sud de la France pour quatre semaines : à moi le Lavandou ! A ce moment, je sais déjà que l’aventure avec le logo au W rouge se poursuivra quels que soient mes résultats à Vegas, car mon contrat vient d’être prolongé d’un an. Je peux donc me projeter à moyen-terme : en août, je partirai à Barcelone pour le Main Event des PS Championship et le Highroller à 10 000 euros, puis, fin septembre, en route pour le Winamax Poker Open de Dublin. J’ai évidemment une tendresse particulière pour cet événement, à la fois mon premier tournoi et ma première victoire sous mes nouvelles couleurs il y a deux ans.
Mais au beau-milieu de cet après-midi de juin tombe une notification de nouveau message Facebook. Expéditeur inconnu. « Bonjour Pierre, je suis journaliste et j’aurais une proposition à vous faire dans le cadre d’une émission de télévision. Vous serait-il possible de me joindre par téléphone au 06… ? » Allez, rien à perdre, je compose le numéro. Je tombe sur une directrice de casting du groupe Endemol. Quelques recherches sur Google m’apprennent qu’il s’agit d’une grosse boîte qui gère de nombreuses émissions de télé-réalité.
Dans ma tête, le déclic : deux ans plus tôt, je participais à La Maison du Bluff, le pendant poker de ce type d’émissions. Réticent à l’époque, j’y avais finalement vécu une des expériences les plus kiffantes de ma jeune vie. Je me souviens avec délice des castings avec Elky, de mon heads-up contre lui dans la maison, de la naissance de mon amitié avec Paul Guichard et de notre stratagème (foiré) pour essayer de fourrer les autres candidats, ou encore de ces tentatives jouissives de saccager les cours de poker de YohViral en vue d’empêcher les débutants de progresser…
La télé-réalité est un accélérateur. Elle peut faire de vous ce qu’elle veut : vous porter aux nues parfois, mais aussi, souvent, vous utiliser avant de vous jeter comme un vulgaire mouchoir usagé, sans la moindre pitié. Beaucoup en ont fait les frais, l’exemple le plus marquant étant la vie brisée de Loana, l’égérie de Loft Story, première émission de ce genre en France en 2001. D’autres s’en sont sortis avec le statut de star, comme mes amis Moundir et Julien Guirado. Accepter de participer à une émission de télé-réalité, c’est prendre donc l’option high variance. Ça passe ou ça casse ! Et vous me connaissez : j’ai toujours été un gambler.
La machine s’emballe : je dois organiser mon temps entre mon programme WSOP et des entretiens avec des psychologues. En effet, Secret Story est ce qu’on appelle une télé-réalité d’enfermement : cela demande quelques précautions quant à la santé mentale des participants. La saison passée, entre autres exemples, un candidat avait littéralement pété les plombs et s’était fait expulser de la villa car les autres candidats avaient peur de son comportement. Au cours de longs entretiens réalisés le matin sur Skype, la tête dans le pâté à cause du décalage horaire, je parviens à convaincre les psys que je ne suis ni bipolaire, ni schizophrène. Je passe les tests haut la main et me voilà qualifié pour l’étape suivante : le casting final.
Tout juste rentré de Vegas, j’ai à peine le temps de faire une lessive que je dois retourner sur Paris. Je me retrouve dans un train à six heures du matin, avec la tête d’un zombie sur le corps d’un joueur de poker venant de passer trois semaines à grind le Double Double du In-N-Out Burger et la Pasta Alfredo du Venetian. J’arrive au casting avec un point de vie restant, éreinté par une nuit blanche et quatre heures de voyage depuis Grenoble. Je passe d’abord par un laboratoire pour un dépistage de MST : le sweat bien connu durant lequel on développe absolument tous les symptômes du VIH. Putain, c’est sûr que je suis foutu. Bon : finalement, c’est négatif, je suis en parfaite santé. C’est toujours ça de pris.
Suite du parcours : entretien avec un médecin généraliste, dernier passage chez le psy puis, enfin, grand oral devant les big boss du programme. Ceux-ci prennent la forme de quatre jeunes hyper sympas. Le test final peut commencer. Très vite, je réalise que je ne pourrai jouer la carte du physique : j’ai pas dormi, je porte mes lunettes, je pèse 80 kilos, ça ne passera jamais. Heureusement, je retrouve très vite les réflexes acquis lors des seuls entretiens d’embauche que j’ai jamais passés, ceux de classe prépa, là où il fallait parvenir à se faire passer pour beaucoup plus brillant que l’on est. Je sens qu’ils sont un peu décontenancés lorsqu’on en vient à parler de la théorie des jeux ou de la manière dont on utilise maintenant les solvers pour résoudre certaines situations récurrentes en No Limit Hold’em. On parle aussi de la critique du développement et des corrélations entre croissance et inflation, deux sujets qui m'avaient fasciné à l’école il y a dix ans. J’ai le feeling qu’ils sont aussi déstabilisés qu’intrigués par mon profil. Avant de partir, ils me conseilleront tout de même de faire de la muscu et de perdre du poids. L'oral est terminé. Maintenant, il n'y a plus qu'à attendre.
Nous sommes en plein mois d'août. Très vite, une réponse positive me parvient : mes chances d’intégrer Secret Story sont très grandes, en fait c’est quasiment du 100%. Avec un gros pincement au cœur, j’annule mes vacances dans le Sud et préviens Winamax que je ne pourrai pas aller à Barcelone. Je contacte un coach sportif pour me concocter un programme alliant sport et nutrition. Du jour au lendemain, mon quotidien est radicalement transformé. Forcément : vu ma tronche à ce moment, il me faudrait six mois pour perdre les kilos superflus sans faire fondre tous mes muscles. Sauf que là, je ne dispose que de deux semaines pour avoir l’air fit : c’est parti pour une diète de mutant, avec un objectif impossible à accomplir mais rien à foutre. Le genre de régime qu’il ne faut surtout pas tenter de reproduire chez vous, vous risqueriez de décéder.
Sachant que ma maintenance calorique est de 2700 kcal/jour, je vais m’astreindre à n’ingérer que 1900 calories trois jours sur quatre, et attendre le quatrième jour pour reprendre des glucides et atteindre ma maintenance. En pratique, cela donne la journée type suivante :
Levé à midi : thé vert puis 1h de cardio basse intensité
16h : un 1er repas avec 4 œufs, des légumes bouillis, Omega3, compléments en vitamines
18h : collation pré-workout avec 1 banane mûre, 30g oleagineux (des plantes), 1 café
21h : 2e repas le workout avec 200g de viande blanche ou poisson blanc, 50g de riz, 2 cuillères d’huile d’olive
Minuit : 3e repas avec des légumes bouillis, 200g de viande blanche ou poisson blanc, 2 cuillères d’huile de lin ou un demi avocat
Avant d’aller se coucher : 1 pomme, 150g de fromage blanc 0%
Bref, une diète giga stricte et très, très efficace sur le court terme… Mais extrêmement dangereuse sur le long terme car beaucoup trop rapide. Après une semaine, je suis complètement rincé, épuisé en permanence, le grind online est devenu une torture. Excellents dans un premier temps, mes résultats à la muscu chuteront en flèche au bout de dix jours.
La date fatidique du 1er septembre passe. La 11e saison de Secret Story va débuter, et je suis prêt. Premier revirement de situation : je reçois un coup de fil qui me dit que finalement, je ne vais rentrer que trois semaines après le début du jeu. Je mate la première émission en primetime et effectivement, il est annoncé que certains candidats entreront en cours d’émission. Pas de panique, donc. Je continue ma routine et suis très satisfait des résultats. Le 20 septembre, je pointe à 73 kilos et pousse 100kg au développé couché. Je suis refait : jamais, depuis mes 18 ans, je n’ai été aussi en forme.
Nouveau coup de fil. Mon entrée dans l’émission est encore repoussée, mais il ne faut pas que je m’inquiète, c’est juste une question de temps. Je rate le WPO Dublin à mon grand regret. Mon tilt augmente quand je constate que les messages Facebook de randoms commencent à s’accumuler : tous me souhaitent bonne chance pour Secret Story. WTF ? Le truc est en train de fuiter, ça craint vraiment, car mon contrat est clair : si le secret est éventé, je risque de bust préflop. Dix jours supplémentaires passent. Nous sommes début octobre. Cette fois-ci, pour joindre la prod’, c’est moi qui doit appeler, et je m’en rends compte rapidement : les réponses autrefois si concises sont maintenant beaucoup plus évasives. Je commence à comprendre que je vais me faire fourrer. Je continue néanmoins ma routine quotidienne, en leur demandant de me tenir au courant le plus vite possible.
Cerise sur le gâteau : avec les tournois que j’ai ratés, le budget que m’alloue Winamax est plus important, et ma saison, qui n’a toujours pas débuté à cette heure, va se faire sur un laps de temps raccourci. Il est donc grand temps pour moi de me préparer aux échéances qui arrivent. En guise d’échauffement : le WSOP Circuit à Paris. Plat de résistance : Prague, où je jouerai en décembre le Main Event et le Highroller. Ensuite : on verra, mais quoi qu’il arrive, lorsqu’arriveront les WSOP 2018, je disposerai d’un budget plus important pour attaquer Vegas de front.
J'ai des revanches à prendre et la rage m'a toujours servi comme un incroyable moteur. Je gagnerai un titre majeur cette année. Je prends les paris.