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[Blog] Bien choisir son sizing

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alexandreluneau
Lorsque j’ai commencé le poker en 2007, les sizings n’avaient guère d’importance. En ce qui concerne la taille des mises, tout le monde ou presque suivait la tendance : miser trois blindes avant le flop et deux tiers du pot sur tous les tours d’enchères suivants. Les sizings semblaient être juste un détail et on n’y réfléchissait pas trop. La seule chose qu'on retenait à l'époque était que si un joueur déviait de la tendance générale, il avait de grande chance d’être un fish !

Evidemment, au fil des années, tout cela a évolué. Avec l’augmentation du niveau général et l'emploi généralisé de la game-theory comme outil, les sizings sont maintenant un aspect du poker indispensable à maitriser pour tout joueur ayant une approche sérieuse du jeu.

Dans ce blog, je vais faire une approche rapide, mais forcément incomplète, car on pourrait écrire des centaines de pages sur le sujet.  Gardez en tête, par exemple, que si l'on vise un jeu optimal, il faudrait penser à cinq sizings au moins pour chaque tour d’enchères, à ajuster selon les actions des joueurs et les textures du board.

Je vais aborder le sujet d’une manière théorique. Comme toujours, choisir des ajustements "exploitant" est évidemment la meilleure option, mais il faut savoir pourquoi on fait ce choix car dès qu’on suit la voie exploitante, on ouvre la possibilité de se faire exploiter en retour. Gardez aussi en tête qu’en comprenant mieux les équilibres de chaque spot, on pourra exploiter de manière plus efficace nos adversaires selon les reads qu’on a sur eux ou sur le field qu’on affronte. 

Sizings : une histoire de cote 

math
Avant tout, les sizings tournent autour des cotes du pot, celles que vous vous donnez pour vos bluffs et celles que vous donnez à votre adversaire.

Prenons un exemple : vous êtes en heads-up à la river, et misez la moitié du pot hors de position en plein bluff. Il faut que l’adversaire abandonne plus de 33% du temps pour que notre play soit gagnant. A l’inverse, s’il call plus de 66% du temps, nous perdons de l’argent. Si l'adversaire veut être sûr qu'on ne gagne pas d'argent sur nos bluffs, alors sa fréquence de fold ne doit pas dépasser les 33%.

Exemple : sur la river, je mise 50$ en bluff dans un pot de 100$, si mon adversaire fold 55% du temps, je gagne en moyenne :

(0,55 * 100) – (50 * 0,45) =  + 32,5$

Maintenant, quelle est la situation du point de vue mon adversaire ?

Il lui suffit de trouver le pourcentage du temps où il a la meilleure main qui lui permet d’être à l’équilibre, et donc de ne pas perdre d’argent. C’est une équation à une inconnue basique, x représentant le pourcentage du temps où notre adversaire gagne le coup :

x * (pot + mise) – (1-x) * mise = 0
Donc, ici : x * (100 + 50) – (1-x) * 50 = 0

La résolution de cette équation nous donne x = 0,25

Face à une mise de la moitié du pot à la river, il a donc besoin d’avoir la meilleure main 25 % du temps pour gagner de l'argent, et donc il faut pour lui que je bluffe au moins 25% du temps sur la rivière.

Par exemple, si je bluffe 30% du temps dans ce spot, l’EV (expected value ou espérance de gain) du call de mon adversaire est :

0,3 * (100+50) – 50 * 0,7 =  + 15 $ 

On peut donc voir qu’il y a deux équilibres dans ce spot avec une mise de la moitié du pot : le joueur qui mise ne doit pas avoir plus de 25 % de bluff dans ce spot tandis que le joueur qui fait face à la mise ne doit pas fold plus de 33 % du temps.

C’est un exemple de l’application de la game theory. Si un des deux joueurs dévie de l’équilibre théorique, il s’expose à se faire exploiter mais peut aussi exploiter un adversaire en retour.

Pour les joueurs plus avancés, dans les cas où les bluffs du joueur qui misent ont de la showdown value (des bluffs qui sont parfois la meilleure main, comme hauteur As ou une petite paire), ce que j’ai énoncé ne s’applique plus et les mathématiques changent un peu, permettant au joueur faisant face à une mise de fold plus souvent.

Range et sizings 

AlexTeam
Maintenant que nous avons l’équilibre selon le sizing, quelle taille de mise choisir selon notre range et celui de l’adversaire ?

Très souvent, le meilleur éventail de taille de mise va simplement être celui qui permet de maximiser le nombre de vos combinaisons de bluff tout en permettant aux mains que vous valorisez d’être devant la range de call adverse. En effet, maximiser le nombre de vos combinaisons de bluff sans être exploitable va faire monter l’EV globale de votre range.

Par exemple, dans le cas extrême ou vous avez les nuts et que votre adversaire n’a jamais les nuts, vous aurez envie d’utiliser le sizing « all in », pour vous permettre de maximiser votre nombre de combinaisons de bluffs.

Vous pouvez aussi vous rendre compte qu’avoir plusieurs sizings à la river va vous permettre de maximiser également votre EV globale. Si on se contente du seul sizing de deux tiers du pot, certaines mains qui ont par exemple 60 % d’équité face au range adverse ne vont pas pouvoir être valorisées. A l’inverse, une mise d’un cinquième du pot est possible pour ces mains, ce qui vous permet au passage de rajouter quelque combinaisons de bluffs à votre range.

Notez aussi que pour vous protéger d’une stratégie exploitante adverse, il faudra introduire quelques mains fortes dans vos sizings d’un cinquième du pot, sans quoi vous risquez d’être facilement lisible quand miserez ce montant.

Voici des exemples de sizings optimaux selon votre équité face au range adverse, en suivant toujours les règles de calcul énoncées plus haut :

66 % d’équité : 0.3 * pot
75% d’équité : 0.5 * pot
82 % d’équité : 0.66 * pot
87.5 % d’équité : 1 * pot
95% d’équité : 2.1 * pot

Je vous invite fortement à tester des exemples variés de sizings à la river et à trouver les fréquences d’équilibre pour les deux joueurs. Comme vous pouvez le voir, les maths sont relativement basiques et sont toujours les mêmes !

Attention aux biais 

alexonmoon
Comme vous pouvez l’imaginer, à part dans la sphère high-stakes, quasiment personne ne joue ces spots de manière équilibrée car cela demande une très bonne maîtrise de ses ranges, de ses fréquences et de la théorie.

Néanmoins une autre raison s’explique par l'existence de biais psychologiques. Selon moi, le principal biais est que d’une manière générale, personne n’aime payer perdant face à une mise. Cela nous renvoie un feedback négatif : on a l’impression de se faire manipuler par notre adversaire, et payer perdant peut être vécu a chaque fois comme une défaite.

Cette vision a pour conséquence que de nombreux joueurs vont se coucher à peu près à des fréquences similaires quel que soit le sizing adverse, se concentrant principalement sur des paramètres psychologiques et voyant la situation de manière binaire (mon adversaire bluffe ou ne bluffe pas) sans prendre en compte la taille de la mise relative au pot.

Même pour moi, spécialiste de jeu en Limit avec beaucoup d’expérience, lorsque je fais cinq calls perdants de suite dans des spots avec une cote de quatre pour un, il m’est difficile de ne pas être affecté et de continuer à analyser les prochaines situations rivière de manière optimale.

Cette vision est dangereuse car, comme vous avez pu le voir précédemment, il est normal de faire de (nombreux) calls perdants lorsqu’on est face à de très bonnes cotes et c’est indispensable pour ne pas se faire exploiter par les bluffs adverses.

Une de mes stratégies exploitantes les plus efficaces de ces dernières années est le bluff en misant un cinquième du pot à la river. Une grande majorité de joueurs, même de très grands noms du poker, va overfold lourdement ce spot. 

Si vous ne jouez qu’en No Limit Hold'em et que tout cela vous semble trop théorique, je vous recommande de tenter de jouer aux variantes en Limit sur Winamax. Ce sera l'occasion de vous confronter à des sizings peu conventionnels et de vous faire réfléchir aux applications que j'ai évoquées ici de manière pratique !


Alexonmoon

En ligne, il a affronté, et battu les meilleurs joueurs du monde dans toutes les variantes imaginables, pour des enjeux stratosphériques. Au sein du Team Winamax, l’objectif d’Alexandre Luneau est clair : faire la même chose en tournoi live… et s’emparer d’un bracelet de Champion du Monde !

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