Winamax

Arrested Development (S01E02)

Par dans

Avertissement : par respect pour la vie privée des protagonistes de cette histoire, leurs noms ou surnoms ont parfois du être modifiés.

Mercredi 11 février. 15 heures. Nous devons tous passer tour à tour devant un officier de la police judiciaire. Le premier interpellé a été entendu à dix heures. J'ai été arrêté à minuit et je n'ai toujours pas eu droit à mon tour. Des plats chauds nous ont été servis à midi, des pâtes. Il était temps. J'ai cru que j'allais mourir, moi et mon appétit d'ogre. C'était pas du Ducasse mais au point ou j'en étais, cela suffisait largement.

J'essaie tant bien que mal de capter les conversations de mes amis revenant vers leurs cellules après leurs auditions respectives. Le nom de Monsieur Patel revient plusieurs fois. Serait-ce lui qui a fait part au autorités de l'existence du cercle clandestin ?

16 heures. J'assiste à une nouvelle rotation des gardiens. L'équipe de l'après-midi prend la relève. Surement les flics les plus cools que j'ai eu l'occasion de côtoyer, bien qu'ils savaient être durs quand il le fallait. On commence à perdre patience. Cela fait maintenant seize heures que nous sommes détenus. Quelque chose cloche dans cette histoire. Quel est mon délit, après tout ? Avoir joué aux cartes dans un cercle illégal. Je ne pense pas que ce méfait mérite seize heures de détention.

On nous prévient que si le juge décide de reconduire la garde à vue de 24 heures ou plus, nous irons passer la nuit au dépôt. Je ne me pose même pas la question de savoir ce qu'est le dépôt, vu que dans ma tête, je sais que je serai dehors avant vingt heures.

18 heures. Les premières libérations surviennent. Jean-François, le restaurateur était présent au cercle hier soir pour jouer au rami, mais s'est contenté au final de regarder la partie de poker, faute d'adversaires. Il est convoqué afin de signer quelques papiers. Sa garde à vue est terminée. Je suis content pour lui : il avait l'air épuisé. En fait, je m'en rends compte très vite, tout le monde est libéré, excepté les employés du cercle et, bizarrement, les joueurs de la partie de poker. Dont moi, bien sûr.

19 heures. Je suis toujours en train de moisir, seul avec Brice – le troisième occupant de la cellule faisant partie des heureux libérés. Les gardiens ouvrent la porte. Derrière eux, un policier me demande de le suivre. Je ne le reconnais pas. Nous nous dirigeons vers son bureau, au calme, à l'écart des oreilles indiscrètes.

« - Salut, je m'appelle Christophe.
- Salut.
- Ça fait un an que je joue au poker. Bon, bien sûr, j'en suis pas encore à ton niveau, mais comme t'es dans le coin, je voulais discuter un peu avec toi. »

Il sourit. Je me détends. On discute gestion de bankroll, on compare les salles de jeu en ligne, je lui recommande de prendre son temps, sans chercher à bruler les étapes. Cet entretien suranné me redonne un peu la pêche. Je demande à Christophe s'il est au courant de ce qui va se passer. Est-ce qu'on va me libérer bientôt ?

Il me répond qu'il ne bosse pas sur l'affaire, et qu'il n'est au courant de rien, tout en admettant que je ne suis pas favori pour sortir rapidement. Le moral retombe aussitôt à zéro. On me reconduit jusqu'à ma suite. Il faut que je me fasse une raison, maintenant. J'ai compris le message : ma GAV (garde à vue) est reconduite. Je vais dormir au dépôt. Je suis abattu, la fatigue commence à me peser, je n'ai pas dormi depuis vingt heures. Et encore, la nuit précédente, je ne m'étais reposé que trois heures.

20 heures. On revient me chercher. Mais cette fois-ci, c'est du sérieux : je reconnais l'officier de la police judiciaire assis en face de moi. Il était là lors de la descente. L'interrogatoire commence.

« On va te poser des questions sur la partie qui a eu lieu le 14 janvier chez Bibi, le jour où Monsieur Patel était présent. Le jour où il a perdu 100,000 euros. Étais-tu présent à cette partie ? »

Je réponds par l'affirmative.

« Qui d'autre était présent ? »

J'essaie de rassembler mes souvenirs de cette soirée qui date d'il y a un mois. Je me souviens de
Brice, Stéphane C., Monsieur Patel, Monsieur Chaval, Bibi, et Greg, un ami que je connais depuis quinze ans. Les autres, je m'en souviens plus, ils ont quitté la partie tôt sans faire de vagues.

« Combien est-ce que tu as gagné ? »

Ça, je m'en souviens sans peine. 108,000 euros. Mon interlocuteur me fixe droit dans les yeux :

« Bon, tu commences à comprendre pourquoi t'es là ? »

J'ai joué au poker dans un cercle ne détenant pas de licence officielle pour opérer, et ce en toute connaissance de cause. Voilà pourquoi je suis là. C'est simple.

« Fais pas l'idiot avec nous. »

A présent, tout devient clair. Monsieur Patel, le poisson de la partie, ne nous a pas balancés, il a carrément porté plainte contre nous.

J'ai du jouer une quinzaine de fois avec cet homme qui paraissait pourtant charmant. Il a gagné treize fois (comment, je n'en ai aucune idée. C'est ça, la beauté de ce jeu : tout le monde peut gagner – pas pour très longtemps, cependant) Puis, après treize victoires, Monsieur Patel a essuyé deux cuisantes défaites. A partir de là, c'était terminé pour Monsieur Patel, qui désormais nous accuse d'un seul bloc, nous, les joueurs de la partie, d'association de malfaiteurs. D'escroquerie à son encontre. De triche, quoi !

Avec moult efforts de clarté, je vais m'expliquer auprès de l'officier. Il m'écoute attentivement.

Un par un, je passe en revue les joueurs de la partie. Moi, associé avec ces gars-là pour plumer le pigeon désigné ? Voyons voir : Brice Cournut et moi avons l'habitude de jouer à deux. A notre actif, une dizaine de tête à tête dans les cercles parisiens, sans compter nos nombreux affrontements sur Winamax. Pour sur qu'on ne se fait pas de cadeaux. Avec Stéphane C., c'est encore pire : nous vivons au même rythme, ou presque. J'ai du passer près de 5,000 heures à jouer avec lui en tête à tête, au rami et au poker. Si j'étais de mèche avec eux, est-ce que je prendrais la peine de les affronter en heads-up ? Monsieur Chaval (soi-disant une terreur au poker selon M. Patel) est un ami, et n'a aucun attachement pour l'argent. Je n'ai jamais vu quelqu'un flamber autant dans la perte. Bien sur, son jeu ultra-agressif peut parfois vous faucher en pleine course, mais Monsieur Chaval est tout sauf un pro. Bibi, lui, il ne joue pas bien. Dans la victoire, il prend peur, et dans la défaite, il perd ses moyens et ne sait plus ce qu'il fait. D'ailleurs, ce soir-là, il était « dedans » de 70,000 euros. Et enfin, Greg. C'est vrai, je le concède, je préfère l'éviter à la table. C'est un ami de quinze ans, et le fils d'un de mes meilleurs amis. Mais chacun des joueurs de la partie est au courant de la chose, et cela ne leur pose pas de problème. Du reste, éviter Greg me cause plus de tracas qu'autre chose, vu qu'il joue près de 80% des coups quand il est perdant.

Je poursuis mon plaidoyer en expliquant à l'officier pourquoi je n'avais absolument aucun intérêt à « faire associé » avec quiconque dans cette partie.

Premièrement, si j'étais assez demeuré pour envisager de tricher au poker, je ne prendrais pas le risque de le faire pour un gain aussi dérisoire. Qu'y avait-il à gagner ? Les 100,000 euros qu'à perdus Monsieur Patel, divisés par six (les six joueurs prétendument dans la combine)

Deuxièmement, j'ai une image à défendre dans le monde du poker. Je suis un joueur médiatisé,  présent lors des plus grandes compétitions internationales et représentant un acteur majeur du poker en ligne. Ce genre d'aventure va clairement à l'inverse de l'image du poker que nous essayons de promouvoir. J'ai une réputation, un honneur auquel je tiens. Demandez à tous les plus grands professionnels ce qu'ils pensent de moi, ils vous le diront. Le jour où je choisis de ternir ma réputation avec de telles pratiques, je peux dire adieu à ma carrière de joueur professionnel que j'ai mis si longtemps à construire.

Troisièmement, et toute modestie mise à part, je suis de loin le meilleur joueur de cette partie. Quand je vois Monsieur Patel assis à la table, évidemment que je suis content, mais je suis tout aussi content de voir assis M. Chaval, Stéphane C., et d'autres. Si je m'assois à cette table, c'est dans l'espoir de gagner de l'argent contre chacun de mes adversaires, pas contre un seul en particulier.

L'officier de la police judiciaire me coupe net dans mon émouvant discours. Il me dit qu'il est tard et que l'entretien se poursuivra demain, ajoutant avec un brin de mystère que ses services détiennent des preuves que certains joueurs avaient triché. Je ne vois pas comment cela peut être possible. Je suis très proche de tous les joueurs présents ce soir là. Non, je suis sûr à 100% que cela est impossible.

21 heures 30. Direction notre hôtel de luxe : la maison de dépôt. Première fois que l'on met le nez dehors depuis une éternité. Je n'arrive même pas à profiter de ces précieuses minutes d'air frais, tellement je suis épuisé, à deux doigts de m'écrouler.

On arrive au dépôt. Je ne savais pas trop à quoi m'attendre. Hé bien, c'est encore pire que ce que je m'imaginais. En fait, c'est tout bonnement en prison que l'on m'a emmené. Bordel, je vais passer la  nuit en taule ! A l'intérieur, on nous fait patienter à l'accueil. Des rangées de cellules à perte de vue s'étalent devant nous. Dans l'une d'entre elles, en face de l'accueil, deux mutants tous droit sortis du film I am Legend. Le premier gratte le crâne de l'autre, le second tripote le menton du premier. Le tout en léchant les barreaux de la cellule de bas en haut. Aujourd'hui, j'en rigole, mais je peux vous assurer que lorsqu'on a vu ça, personne n'a osé décrocher ne serait-ce qu'un sourire. On se croyait dans Le Silence des Agneaux.

Après la fouille, nous sommes accompagnés jusqu'à nos cellules. On nous a retiré lacets et ceintures, des fois que quelqu'un songerait à vouloir se pendre. De même, les effets personnels sont interdits : pas de portable, pas de bouquin, pas de montre, rien. Perdu dans l'espace temps.

Par chance, le dépôt n'était pas plein. Chacun s'est vu attribué une cellule individuelle, à l'écart de la faune locale. Les officiers de la PJ nous préviennent que les gardiens de la Brigade de Répression du Banditisme viendront nous chercher vers huit heures du matin.

Étonnamment, la chambre est plutôt cosy. Toute neuve, unicolore, peinte d'un blanc éclatant qui te défonce les yeux grâce à la lumière allumée en permanence, et puissante comme trois soleils. Le matelas est en plastique, et deux fois plus large que le sommier, juste pour que l'on ne soit pas trop rassuré à l'idée de s'endormir : si on a le malheur de se pencher, on se casse la gueule.

Il y a aussi une sonnette pour le room-service, mais les serveurs ont été trop occupés par un invité un peu spécial qui gémissait tous les quarts d'heure, il ne viendront qu'une fois me voir, pour me jeter un rouleau de papier toilette. Les chiottes, parlons-en. A la turque, bien entendu. Petit conseil pour les malheureux qui auraient à subir les mêmes mésaventures que moi : éloignez vous une fois la chasse tirée, afin d'éviter de se prendre une gerbe de flotte sur toute la hauteur des jambes, chose qui n'aide en rien à rendre plus agréable le moment déjà intense que vous êtes en train de passer.

23 heures. Je suis tellement à bout de forces que j'arrive à trouver le sommeil. Quand je me réveille, je suis en pleine forme. Les batteries sont rechargées à bloc. Et puis, pour sur que ce long sommeil a contribué à tuer le temps de manière utile et agréable ! Je ne sais pas quelle heure il est, mais ce n'est pas grave, la BRB va bientôt arriver pour me sortir de là. J'appuie sur la sonnette du room-service. Rien à faire, c'est comme au Bellagio : y'a jamais personne qui répond. Je mets ma tête contre la vitre : j'aperçois un policier. Il s'arrête devant moi sans rien dire. Je lui demande l'heure.

« Deux heures et treize minutes », répond t-il avant de poursuivre son chemin.

Je n'en crois pas mes oreilles. Il ne s'est passé que trois heures depuis que je me suis endormi ! Je m'effondre sur le matelas, déboussolé.

Les sept heures qui vont suivre allaient être les plus longues de ma vie. Les secondes se transformaient en minutes, les minutes en heures. J'ai fait trente-quatre siestes de sept minutes, j'ai appelé le room-service vingt-trois fois, demandé l'heure douze fois, fait des étirements, une cinquantaine de pompes...

7 heures 45. « Petit dej ! » On nous jette une briquette de jus d'orange chaud, et deux galettes bretonnes. Jamais durant toute ma vie je n'ai mangé de galettes aussi bonnes. J'ai bien mis un quart d'heure à les manger, profitant de chaque bouchée. C'est comme si je n'avais pas bouffé depuis des années.

9 heures 15. La porte de la cellule s'ouvre. Mes meilleurs amis de la Brigade de Repression du Banditisme sont là. Quelle joie de les retrouver ! Quelle joie de pouvoir parler à autre chose qu'à un mur ! J'aperçois Brice, Greg, Stéphane C., et les autres, tous ont vécu le même cauchemar. A part Bibi, qui a simulé une crise d'épilepsie afin de passer la nuit à l'hôpital, sous calmants. Bien joué, Bibi. On marche dans la rue, on profite de ce moment. Violente et délicieuse impression de renaître. L'air sent bon, les gens sont beaux, même s'ils nous dévisagent à cause des menottes autour de nos poignets. Je m'en tape, j'étais heureux !

Retour à la case départ, à la préfecture de police de la Cité. Je retrouve ma cellule de GAV et mes geôliers de la veille, ceux qui ont l'air d'être sur une autre planète. J'attends encore les fameuses preuves de tricherie qu'on m'a promises la veille...

A suivre