Winamax

Arrested Development

Par dans

Avertissement : par respect pour la vie privée des protagonistes de cette histoire, leurs noms ou surnoms ont parfois du être modifiés.

Mardi 10 février. 21 heures. J’hésite à aller jouer le tournoi de Pot-Limit Omaha du Gaillon, programmé à 21 heures 30.

22 heures. J’ai traîné au lit. Il est trop tard pour le tournoi. Il faut que j’émerge. J’ai perdu pas mal d’argent la semaine dernière. Je coupe le sifflet aux Gossip Girls sur mon ordinateur, et j’allume mon téléphone. Je me renseigne auprès des différents cercles, pour savoir ce qu’il se passe ce soir.

Au menu, une partie chez « Bibi ». Bibi s’occupe d’un cercle de jeu. Un cercle de jeu un peu particulier puisqu’il ne possède pas de licence officielle pour opérer. Je ne sais donc pas si on peut appeler cela un cercle de jeu.

Le vrai/faux cercle est composé de trois étages. Au sous-sol, la cuisine. Au rez-de chaussée, le hall d’entrée. C’est à l’étage que l’on croise le fer. Je ne me suis rendu qu’une quinzaine de fois dans ce cercle, et jusqu’à présent les résultats n’ont pas été très probants. Une douzaine de défaites pour seulement trois victoires.

Malgré ces statistiques peu reluisantes, je n’étais down que de seulement six caves sur l’ensemble de mes parties… L’une de mes rares victoires m’ayant rapporté une somme à six chiffres. Bibi, le tenancier, avait perdu 70,000 euros, tandis que Monsieur Patel, l’homme d’affaires, s’était retrouvé débiteur de 100,000 euros. Brice Cournut, quant à lui, était gagnant d’une quinzaine de milliers, et les autres joueurs avaient eux aussi gagné.

Monsieur Patel est annoncé au cercle ce soir… C’est un joueur très faible, ce qui devrait rendre la partie des plus intéressantes.

Arrivé chez Bibi, l’ambiance est la même que d’habitude. Les charriages fusent, les gens rigolent, ça joue au Rami dans un coin, tandis que Bibi nous commande de la bouffe chinoise. Notre hôte fait au signe au croupier que la partie peut commencer.

Ce soir, on joue au Omaha. En Pot-Limit, bien sur. Blindes : 20€ et 40€. Buy-in : 2,000 euros. J’ai pour habitude de commencer à jouer avec quinze buy-ins devant moi, soit 30,000 euros. C’est un choix qui me permet de moins flamber en début de partie. En général, les vingt premiers coups ressemblent à du loto, les joueurs relancent à tout va, et je n’aime pas trop tenter ma chance durant cette première heure.

Toujours est-il que je perds tout de même 5,000 euros après deux heures de jeu.

Minuit passé d’une minute. J’enclenche mon Ipod. Je tombe sur une chanson de NTM. « La fièvre ». Je ne l’avais pas écoutée depuis trois ans, celle là. C’est à ce moment que j’entends comme deux détonations venant du rez-de-chaussée. Toute la table se lève comme un seul homme, aux aguets. On se rassemble à un bout de la salle, du côté où l’on mange.

Mon cœur s’emballe. Je pense à un braquage. Cette idée ne me plaît pas trop, et me rappelle de mauvais souvenirs. Le cuisinier monte les escaliers quatre à quatre, et déboule dans la pièce : « Les flics ! »

D’un coup, je suis rassuré. Comme Ray Liotta à la fin des Affranchis, quand il se rend compte que ce type pointant un flingue sur lui n’est pas venu pour le descendre, mais pour l’arrêter.  N’empêche, il fallait les voir, ces flics, masqués, dans leur tenue de soldat. Il y avait entre 25 et 30 armes pointées sur votre joueur du Team et ses collègues de jeu. Sur leurs blousons, j’aperçois des écussons : Brigade de Répression du Banditisme, Brigade de Recherche et d’Intervention, Douanes

Bien entendu, les menottes arrivent. Je pense à ma mère… Si elle me voyait ! Je savais que cette descente n’était pas pour moi – j’ai beaucoup perdu ces trois derniers mois, mais pas assez pour que cela constitue un délit, tout de même. Non, la descente visait le cercle de jeu illégal où je me trouvais.

Les forces de l’ordre enlèvent leurs cagoules. L’ambiance se détend un peu. On nous dit « Si vous nous racontez la vérité, on vous relâchera après l’audition. » Un moment censé durer deux ou trois heures. Je vous rassure, l’histoire est loin d’être finie.

Chaque officier de la police judiciaire à un dossier en main. L’opération est rondement menée, et très vite un officier est assigné à chacune des personnes présentes. Le mien, très cool, me demande si je vais bien. « Ça va », je lui réponds.

Nous sommes priés de dire qui était assis à la table, et où. L’un des flics rigole : « Et ben Anto, t’es notre chip-leader ce soir ! » Que pouvais-je bien lui répondre ? Le fonctionnaire allait-il comprendre que j’aimais jouer avec un tapis profond afin d’éviter la flambe et de jouer un poker plus centré sur mon « skill » post-flop ? Je pense que non. Je ne dis rien.

« T’es qui, toi ? », questionne un agent de la BRB.

« Je suis Brice Cournut. »

«Ah, ah, c’est donc toi le fameux Brice ! »

Nos regards se croisent, perplexes. On ne se saura jamais pourquoi Brice est « fameux » chez les services de la Brigade de Répression du Banditisme.

Mercredi 11 février. Minuit et cinq minutes. « Les gars, minuit cinq pour l’intervention, ça vous va ? »

Les officiers notent l’heure de la fin de l’intervention sur leurs calepins, et nous prient de suivre nos agents, qui nous accompagnent jusqu’à la sortie.

Quand même, j’aurais mieux fait d’aller au Gaillon, je me dis.

En sortant je croise mon pote Cyril qui devait venir manger avec moi au cercle. Des yeux, je lui fais un signe indiquant qu’il ferait mieux de se taire, histoire de pas se faire embarquer aussi. Mon agent nous grille – je dis à Cyril de ne pas s’inquiéter.

Arrivé à la préfecture de police, je demande à fumer une cigarette. Requête acceptée. On m’auditionne à propos de la partie de Bibi. Je réponds consciencieusement à chacune des questions qu’on me pose, jusqu’à celle-ci.

« - Combien misez-vous ? »

« - Je ne comprends pas votre question », je réponds.

« C’est pourtant simple. Combien de jetons misez-vous ? »

Cela ne me paraît pas beaucoup plus clair formulé de cette manière, mais je me risque tout de même à avancer une réponse : « pas loin de trois millions. »

Le brigadier me regarde d’un air atterré. « La question n’a aucun sens, » je poursuis. J’explique le pourquoi de ma réponse : «  Si l’on additionne chaque mise que j’ai effectué durant toute la nuit, je pense que l’on peut arriver à trois millions. »

Sur son rapport, l’officier écrira en guise de réponse que la question ne fait aucun sens.

Autre question. « Connaissez-vous Monsieur Patel ? »

Qu’est-ce que Monsieur Patel vient faire dans cet interrogatoire ?

Je réponds par l’affirmative. Nous avons joué plusieurs fois ensemble dans un autre cercle parisien. Je l’ai vu deux fois chez Bibi. Il devait venir jouer ce soir. Il nous a fait faux bond. Tant mieux pour lui.

4 heures du matin. On nous annonce à tous que nous allons être placés en garde à vue tandis que nos dépositions vont être minutieusement comparées (ils doivent avoir un logiciel pour ça). Cela ne devrait pas durer plus de trois heures, qu’on nous informe.

Moi, Brice et une troisième personne sommes placées dans la même cellule minuscule.

8 heures. Silence radio.

9 heures.  Nos geôliers ont fini leur service de nuit. D’autres arrivent pour les remplacer. Céline, très gentille jeune femme de Perpignan, rentre chez elle. Elle nous souhaite bon courage. La relève est tout aussi sympathique, quoique légèrement sur une autre planète.

Nos gardiens sont au nombre de trois. Nous sommes entassés dans quatre cellules de trois personnes. Dix-sept personnes au total se trouvaient chez Bibi la veille : joueurs, amis des joueurs, employés…

10 heures. J’aperçois un des officiers ayant participé à la descente. Je me dis qu’ils nous ont menti. Ils sont allés dormir…

A suivre…